KAPITAL

Ces architectes romands qui brillent à l’étranger

De nombreux bureaux arrivent à surmonter l’obstacle des langues et des frontières pour réaliser des projets hors de leur région d’origine. Ils exposent leur stratégie.

En raison de l’essor économique de la région romande, la demande en matière d’architecture ne cesse de croître, en particulier autour de l’arc lémanique. Une situation qui ne manque pas d’attirer les meilleurs bureaux d’architectes internationaux et alémaniques, notamment de nombreux bureaux zurichois. Cependant, plusieurs architectes romands brillent eux aussi hors de leur région, voire à l’étranger.

Quelle stratégie suivent-ils pour avoir du succès en dehors de leur zone de confort, dans un contexte hyper-compétitif? Les concours nationaux et internationaux semblent un passage presque incontournable. «Il faut y participer, malgré la barrière des langues», note Eric Ott, responsable du bureau neuchâtelois Ipas. Dans ce contexte, une pratique du bilinguisme représente bien sûr un atout de taille. Au-delà de la somme de travail, il s’agit surtout de provoquer sa chance en explorant de nouveaux thèmes et lieux d’intervention. Un état d’esprit qui a permis à ce bureau d’une vingtaine de collaborateurs d’être primé, à ce jour, dans une dizaine de concours outre-Sarine, dont deux ont été réalisés et un troisième est actuellement en cours.

De son côté, le bureau d’architectes-paysagistes genevois Atelier Descombes Rampini (ADR) compte des projets dans diverses régions suisses, ainsi qu’en France ou en Belgique. On y pointe également l’importance des concours, qui permettent de tisser un réseau de contact et de multiplier les occasions de collaboration. Par ailleurs, il peut se révéler judicieux de miser sur des spécialisations. Le bureau, par exemple, s’intéresse de près à l’aménagement des espaces publics, un segment où l’on trouve encore peu d’acteurs spécialisés à Genève. «Nous bénéficions d’un champ restreint de concurrence sur un domaine qui se révèle stratégique dans l’élaboration de la ville de demain», résume le responsable Julien Descombes.

Actif depuis une vingtaine d’année dans cette branche, le bureau dispose d’une double expertise d’architectes et de paysagistes qui lui permet de couvrir un large champ de compétences. L’entreprise compte actuellement une douzaine de collaborateurs et travaille aussi bien sur la conception de places urbaines ou de parcs, que sur des projets aux visées territoriales plus importantes, telle que la renaturation des cours d’eau ou les plans directeurs.

Ecoles et musées

Se profiler dans les grosses constructions du type écoles ou musées peut également constituer une stratégie intéressante à l’international. Basé à Lausanne, le bureau B + W architecture a effectué divers mandats sur des ambassades suisses à l’étranger, notamment à Prague et à La Paz. Il travaille actuellement sur une rénovation et un agrandissement de l’ambassade suisse de Moscou, un chantier qui s’achèvera d’ici deux ans.

Parmi les atouts qui leur ont permis de se démarquer hors des frontières helvétiques, les deux directeurs Ueli Brauen et Doris Wälchli mettent en avant la pluridisciplinarité du bureau, qui compte près de 35 employés, ainsi que l’intérêt pour d’autres cultures et modes de construction et la maîtrise de plusieurs langues facilitant le contact avec les autorités et les entreprises étrangères. Alémaniques de naissance, les deux fondateurs ne délaissent pas le territoire national: ils entretiennent des relations fréquentes avec leurs collègues d’outre-Sarine en participant notamment de manière active à des associations professionnelles et en enseignant dans diverses écoles.

Participer à des concours ou viser des marchés de niche ne fait pas tout. Il est également important de voir ses travaux publiés dans des livres ou des revues spécialisées cotées, telles que le magazine espagnol El Croquis, l’un des plus prestigieux au monde, où tous les architectes émergents rêvent un jour de figurer. L’architecte genevois Charles Pictet, actif notamment en France, relève que le meilleur moyen de se faire repérer par des revues et améliorer ainsi sa visibilité consiste à fournir un travail de qualité. Plutôt que de faire des efforts particuliers sur sa propre promotion, il recommande de miser sur la discrétion et le bouche à oreille. «On ne peut obliger les gens à s’intéresser à soi», dit-il. Fondé il y a douze ans, son bureau emploie aujourd’hui 17 personnes.

Autre aspect crucial: l’activation de son réseau. Professeur de théorie de l’architecture à l’EPFL, Bruno Marchand souligne l’importance des anciens compagnons d’études et collègues de travail. «La nouvelle génération d’architectes est aujourd’hui beaucoup plus cosmopolite qu’auparavant. Nous le constatons chez les étudiants qui suivent de plus en plus le programme Erasmus, mais aussi dans les bureaux, où l’on trouve toujours plus d’étrangers en raison de la demande qui reste très soutenue dans l’arc lémanique.»

Antennes lointaines

D’autres bureaux ont choisi d’aller plus loin en ouvrant carrément des antennes dans des pays étrangers. C’est le cas de Richter – Dahl Rocha et Associés architectes, à Lausanne, qui compte un bureau à Buenos Aires. Originaire d’Argentine, où il a réalisé une partie de ses études, le co-fondateur Ignacio Dahl Rocha a gardé plusieurs contacts dans ce pays et continue d’y voyager trois à six fois par an. «Dans mon cas particulier, l’Amérique latine est ma zone de confort», relève l’architecte, qui participe régulièrement à des conférences ou à des séminaires internationaux et intervient souvent dans les milieux académiques. «Mais en premier lieu, rappelle-t-il, il faut faire du bon travail pour avoir du succès.»

Ce sont deux architectes ayant travaillé dans le bureau suisse durant huit ans qui sont partis en Argentine pour se charger de l’ouverture de l’antenne. Ignacio Dahl Rocha et son associé Jacques Richter sont les actionnaires principaux du bureau, qui regroupe aujourd’hui 70 collaborateurs en Suisse et 15 en Argentine. A noter, par ailleurs, que la philosophie de l’entreprise consiste à profiter des diverses opportunités qui se présentent à elle plutôt que se spécialiser dans un marché de niche.

Le bureau genevois group8, basé à Châtelaine, avait pour sa part ouvert une antenne en 2007 à Hanoï afin de développer ses différents projets asiatiques, notamment un important projet de logements dans le quartier de Punggol à Singapour. Fondée par deux anciens partenaires partis s’expatrier au Vietnam, celle-ci est devenue entièrement indépendante à la fin de l’année dernière. Aujourd’hui, la société compte une quarantaine d’employés et continue de se développer hors de Suisse romande, notamment à Paris dans le cadre d’un projet sur une ligne de tram en collaboration avec l’artiste genevois John Armleder ou à Zoug pour un mandat de requalification d’un site industriel.

Mais l’implication internationale de group8 passe désormais essentiellement par Genève, où l’entreprise multiplie les projets, par exemple des rénovations pour le Centre international de conférences Genève et l’ONU, ou la construction de nouveaux immeubles pour le CICR. «Les choses ont beaucoup évolué depuis cinq ou six ans, note le partenaire Adrien Besson. Il y a de moins en moins de travail ailleurs en Europe, alors qu’ici la demande continue d’exploser, notamment à Genève au sein des organisations internationales où les projets sont particulièrement intéressants. Nous recevons d’ailleurs une centaine de demandes d’emplois par mois de candidats basés dans différents pays européens comme l’Espagne, la France ou l’Italie.»
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.