KAPITAL

Les nouvelles offres low cost

Après quinze ans de croissance ininterrompue, l’aviation à bas prix se trouve aujourd’hui en pleine mutation. Les compagnies du secteur commencent tout juste à s’intéresser aux nouveaux marchés, comme l’Asie et l’Afrique.

La course pour s’emparer du meilleur siège, le pique-nique qu’on embarque avec soi dans l’avion, ou encore le défi de faire rentrer toutes ses affaires dans un minuscule bagage à main, pour ne pas payer une valise en soute… Tous ces comportements étaient inconnus des voyageurs il y a seulement 15 ans. Mais l’avènement des compagnies aériennes low cost a transformé en profondeur un secteur autrefois dominé par les transporteurs nationaux. En 2013, 26% des billets d’avion mis en vente dans le monde l’ont été pour des vols low cost. Et ce n’est peut-être qu’un début.

Europe

Pionnier, le marché européen de l’aviation low cost s’est développé dès le milieu des années 1990 et représente désormais 38% du total. «Il est entièrement consolidé autour des deux leaders easyJet et Ryanair», indique John Thomas, spécialiste de l’aviation auprès de l’agence L.E.K Consulting. En 2013, Ryanair a transporté 81,4 millions de personnes (+2,3% par rapport à 2012), ce qui en fait la première compagnie du continent, devant easyJet (61,3 millions de passagers en 2013, +3,6%).

Mais les compagnies traditionnelles ont lancé la riposte. «Elles ont créé ces dernières années un produit beaucoup plus simple et moins onéreux, qui se rapproche de l’offre des low cost, note John Grant, le vice-président de OAG, un organisme britannique qui agrège des données sur l’aviation. Chez British Airways, tous les services sont désormais payants: les repas, les réservations, etc.» Brussels Airlines et Scandinavian Airlines ont un modèle similaire.

«Certaines compagnies traditionnelles ont lancé leurs propres filiales low cost, telles que Transavia et Hop chez Air France-KLM ou Germanwings chez Lufthansa», précise Anand Date, analyste chez Deutsche Bank. L’an passé, la compagnie allemande a confié toutes ses liaisons européennes à sa subsidiaire low cost, excepté celles au départ de Munich et de Francfort. Iberia a pour sa part repris en 2013 – dans le cadre de sa holding avec British Airways – la compagnie espagnole à bas coûts Vueling, qui vient s’ajouter à sa propre filiale, Iberia Express, créée en 2011.

Résultat, le marché européen du low cost commence à être saturé. EasyJet a été la première à réagir, il y a deux ans, en investissant le segment des voyageurs d’affaires. «La compagnie a développé un tarif Flexi qui permet de changer sa réservation jusqu’au jour du vol et a introduit le principe des sièges numérotés», détaille John Grant. Les passagers peuvent aussi acheter un abonnement annuel qui leur donne accès à un bagage en soute gratuit et à un embarquement prioritaire.

Même Ryanair s’y est mis. Prenant tout le monde par surprise, son patron Michael O’Leary a annoncé il y a 6 mois que la compagnie allait se réorienter sur les aéroports prioritaires, plus proches des centres-villes. «Elle a par exemple remplacé Charleroi par Bruxelles ou Rome Ciampino par Rome Fiumicino», détaille Jaap de Wit, un professeur d’économie des transports à l’Université d’Amsterdam. Même la culture d’entreprise a été revue: les employés ont suivi une formation pour être plus agréables avec les passagers.

Etats-Unis

La compagnie Southwestern, fondée en 1971, est considérée comme la première low cost du monde. Mais aujourd’hui, le marché des vols à bas prix est dominé par les trois grandes compagnies traditionnelles: American Airlines, Delta Airlines et United Airlines. «Leurs offres ressemblent à s’y méprendre à celle d’une low cost, relève John Thomas. Elles ont adopté le modèle des services payants annexes (repas, bagage en soute), qui représente désormais une importante part de leurs revenus.»

Une poignée de transporteurs low cost se partagent le reste du marché, à l’image de Frontier, basé dans le Colorado, de Allegiant, un spécialiste des vols «côte à côte» qui vend aussi des réservations d’hôtel et de voiture, ou de Spirit, une compagnie ultra bon marché dont le service minimaliste évoque Ryanair. L’offre est rudimentaire: les passagers payent tout, même les bagages à main.

A l’inverse, Southwestern est montée en gamme, tout comme JetBlue, une compagnie à bas prix fondée en 1999 basée dans un terminal flambant neuf de l’aéroport JFK, à New York, qui se distingue par la qualité de son service. Ses sièges sont plus larges que ceux de toutes les autres compagnies.

Asie

Le marché du low cost commence tout juste à se développer en Asie. Mais il s’y révèle d’une vitalité étonnante, grâce notamment à l’émergence d’une classe moyenne qui découvre les joies du voyage. «Une poignée de transporteurs à bas prix se montrent très agressifs pour déstabiliser les compagnies établies les plus faibles», dit John Thomas. L’indonésienne Lion Air s’en est prise à la compagnie nationale Garuda et la malaise AirAsia à Malaysia Airlines. Dévastée par deux crashs en 2014, cette dernière vient de sortir de Bourse et a annoncé la suppression de 6’000 emplois.

Ce dynamisme reste toutefois cantonné à certaines régions, notamment à l’Asie du Sud-Est. La Chine n’a aucune véritable compagnie low cost et le Japon n’en possède qu’une, Peach Aviation, créée en 2012. «Le marché asiatique reste relativement fermé, souligne John Thomas. Dans chaque pays, il est dominé par un opérateur national.» Cela augmente le coût d’entrée sur ces marchés pour les low cost, souvent obligées de créer une filiale sur place avec des investisseurs locaux. Plusieurs compagnies traditionnelles ont en outre commencé à se profiler sur ce segment. Singapour Airlines a pris des parts dans Tiger Airways et créé sa propre filiale
à bas coûts, Scoot.

Afrique

La dernière frontière pour le low cost reste l’Afrique. «Ce continent compte énormément d’habitants, mais peu d’entre eux ont les moyens de voyager en avion», indique John Wensveen. L’Afrique ne représente que 3% du trafic aérien mondial. Mais la situation est en train de changer, grâce à la croissance économique phénoménale enregistrée par certains pays. «Le Nigeria, le Kenya ou l’Ethiopie deviennent des marchés intéressants pour les compagnies low cost», note le professeur. L’Afrique a vu apparaître deux transporteurs à bas coûts ces dernières années: Fly 540, qui dessert le Kenya, l’Angola et le Ghana, et Fastjet, dont les avions vont en Tanzanie, en Afrique du Sud et en Zambie.
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La tentation du long

Plusieurs compagnies à bas prix se sont cassé les dents sur le marché du long-courrier, comme AirAsia X qui a tenté en 2009 de lancer une liaison entre Kuala Lumpur et Londres ou Paris. «Sur les longs vols, le fuel représente la principale source de coûts, relève John Thomas. Or il s’agit d’un frais incompressible. On ne peut pas jouer sur ce paramètre pour faire baisser le prix des billets.»

De même, après un vol de plus de sept heures, impossible de repartir aussitôt ou de réutiliser le même équipage pour le voyage du retour.
«Le modèle d’affaires des low cost, qui consiste à vendre le même siège plusieurs fois dans la journée et à prévoir un temps au sol le plus court possible ne tient pas ici», note John Wensveen, qui dirige le Département de technologie aérienne à l’Université Purdue, dans l’Indiana.

La compagnie à bas prix Norwegian a néanmoins décidé de lancer cette année trois vols entre Londres et les Etats-Unis. Un aller simple vers New York coûte 225 dollars. Pour rentrer dans ses frais, elle a engagé des pilotes à Singapour et des hôtesses en Thaïlande, payés respectivement 11’000 euros et 500 dollars par mois. «Et elle vole avec le tout nouveau Boeing 787, un appareil qui consomme peu de carburant», souligne Jaap de Wit. «Norwegian a aussi eu l’intelligence de choisir des destinations prisées des vacanciers, comme New York,
Fort Lauderdale (près de Disney World) et Los Angeles, ce qui lui permet de se passer de la clientèle d’affaires», complète John Grant.

Les low cost sont également de plus en plus nombreuses à s’essayer au moyen-courrier (trois à cinq heures), qui ne nécessite que des avions de taille moyenne. Fly Dubai vole sur Belgrade, Addis-Abeba ou Mumbai, la saoudienne Flynas va à Londres, easyJet dessert Amman, Tel-Aviv, l’Egypte ou le Maroc, Vueling opère un vol vers Dakar et Scoot relie Singapour à l’Australie.
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no 5/2014).