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Des classeurs par millions

La société Biella est à l’origine d’un emblème helvétique incontesté: le classeur fédéral. Elle occupe une solide position dans un secteur menacé par la digitalisation. Portrait.

La «saison du classeur» est sur le point de démarrer. Elle s’étend invariablement d’octobre à janvier, période durant laquelle les entreprises, administrations et privés se munissent de l’outil indispensable au rangement annuel de rigueur. «Nous réalisons 60% de nos ventes durant ces quatre mois», lance Marco Arrigoni, le directeur de la mythique entreprise d’articles de bureau Biella, qui a inventé le classeur fédéral il y a plus d’un siècle. Objet culte, le parfait rectangle gris a rejoint le patrimoine du design suisse, et s’est aussi imposé comme le témoin du poids des affaires judiciaires — la débâcle de la Banque Cantonale de Genève a rempli 1’500 classeurs fédéraux, le «grounding» de Swissair 4’150.

L’entreprise installée à Brügg (BE) vend désormais toutes sortes de classeurs, à raison de 140 millions d’unités par année, et jouit clairement d’une position de force en Europe. Environ trois quarts des classeurs présents sur le marché helvétique proviennent de l’usine bernoise de Biella. La société cotée à la Bourse de Berne, qui emploie 800 personnes et a bouclé son exercice 2013 sur un chiffre d’affaires de 191 millions de francs, fabrique aussi, dans une moindre mesure, des articles tels que des agendas, des chemises plastifiées ou encore des boîtes d’archivage.

Chute de la demande

Biella réalise la quasi-totalité (99%) de ses ventes en Europe, où elle dispose de cinq sites de production. «Le classeur est un produit typiquement central-européen, raconte Marco Arrigoni. Il est surtout prisé en Suisse, en Allemagne, en Autriche et en Pologne. Chaque pays a ses traditions en matière d’archivage. En Italie et en Espagne, les documents sont rangés dans des boîtes. Les Etats-Unis privilégient l’empilement de chemises.»

Mais le classeur, même dans son aire naturelle, vit des heures difficiles et se voit confronté à un recul de la demande. En cause: la digitalisation. «Nous sommes touchés de plein fouet, analyse Marco Arrigoni. Le classeur quitte peu à peu le cadre professionnel: les employés partent en déplacement avec un iPad, les épais modes d’emploi des machines industrielles sont livrés de manière électronique. Résultat, nous assistons à une baisse continue des volumes de nos ventes depuis cinq ans. Elle atteint 5% par an pour les classeurs, et même 10% pour les agendas.»

Cette pression se traduit aussi sur les prix, l’argument auquel les clients sont le plus sensibles. En Suisse, ils ont reculé de 12% en quatre ans, un phénomène constaté dans le même ordre de grandeur dans le reste de l’Europe. La tendance grève les résultats de l’entreprise, qui a enregistré une perte nette de 1,2 million de francs en 2013. «La qualité des produits de Biella est reconnue, note Thorsten Grimm, spécialiste des valeurs secondaires et associé du blog schweizeraktien.net. Mais la digitalisation représente un défi énorme et on peut se permettre d’être sceptique quant à l’avenir de la branche.»

Production suisse en danger?

Dans cette situation critique, produire en Suisse est-il encore pertinent? Marco Arrigoni répond sans hésiter par l’affirmative. «Dans notre industrie, l’aspect logistique est très important. Un classeur vide ne pèse presque rien mais occupe un volume important. Il s’agit donc d’un produit dont la distribution est intéressante dans un rayon ne dépassant pas 600 km autour du lieu de production. Cela est aussi judicieux d’un point de vue écologique. La concurrence asiatique existe, mais elle ne constitue pas une réelle menace pour le marché européen. On ne peut mettre que 15’000 classeurs dans un camion. Imaginez ce qu’impliquerait l’importation de millions de classeurs!»

Malgré les défis de la digitalisation, Biella poursuit son chemin. L’entreprise se dit convaincue que la dégringolade finira par s’arrêter. «Je ne crois pas en un monde digitalisé, à une vie et des bureaux sans papier, souligne Marco Arrigoni. Aujourd’hui nous ne savons simplement pas où se situe le plancher.»

En 2012, Biella a racheté le groupe allemand Falken, un de ses principaux concurrents, un enracinement décisif en Allemagne qui lui a conféré la position de leader européen. En début d’année 2014, elle a procédé à deux autres acquisitions: le commerce de classeurs de l’entreprise allemande Hamelin et l’activité d’articles de bureau de la société zurichoise Carpentier. Biella avait effectué une première expansion vers l’Europe centrale et l’Europe de l’Est au début des années 2000. «La direction de l’époque avait pressenti que Biella entrait dans une période très dure et qu’elle ne pouvait plus compter uniquement sur le marché suisse.»

Biella entend poursuivre à l’avenir cette stratégie d’acquisitions et participer à la consolidation d’une branche que les observateurs estiment en surcapacité. «Nous allons continuer de saisir les opportunités dans notre cœur de métier. Le marché européen se monte à 320 millions de classeurs par an, nous pouvons donc encore accroître notre volume.»
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Une Bourse pour les PME

La Bourse suisse, basée à Zurich, n’est pas la seule du pays. Berne compte aussi sa plateforme d’échanges, BX Swiss, qui regroupe une trentaine de titres suisses — dont Biella — et plus de 1’000 titres étrangers. «Nous nous focalisons sur les petites et moyennes entreprises (PME) suisses, principalement des sociétés immobilières et industrielles, explique Luca Schenk, son directeur. Nous répondons aux besoins d’un actionnariat suisse de privés et de petits institutionnels.» Les atouts de la Bourse de Berne? «Elle comprend des compagnies suisses en croissance, dont la valorisation augmente. Il est par ailleurs plus facile d’avoir confiance dans un acteur local que tout le monde connaît que dans une grande entreprise. Cette proximité correspond à l’esprit de l’investisseur suisse.» Il n’est pas rare que, une fois une certaine taille atteinte, les entreprises de la Bourse de Berne migrent vers celle de Zurich, comme cela fut notamment le cas de Hochdorf, Comet ou Looser.
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no 5/2014).