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Quand le vieil homme veut se faire la vieille tante

La tentative de nomination d’un proche de Blocher à la tête de la NZZ a provoqué un psychodrame qui résume les deux principaux modèles politiques du pays.

Quand ils veulent, ils peuvent. Sortir bec, griffes et ongles. La pugnacité horrifiée avec laquelle certains radicaux alémaniques ont défendu la NZZ — leur chose depuis tant d’années — forcerait presque l’admiration. Un journal plus que vénérable, affectueusement surnommée «la vieille tante», incarnant aux quatre coins du monde le meilleur de la pensée économique libérale à la sauce zurichoise. Le journal des banquiers et des grands, très grands patrons.

Et un écrin menacé, à deux doigts de tomber en viles mains blochériennes. Via la nomination à sa tête, envisagée un moment par le conseil d’administration, d’un très grand pote de Blocher, l’actuel patron de la très alignée Basler Zeitung, Markus Somm. Qui a même commis une biographie énamourée du grand homme.

Cris, grincements de dents et psychodrames surjoués ont aussitôt éclaboussé les paisibles bords de la Limmat. Blocher allait se faire la vieille tante. Un taux inhabituel d’indignation qui a forcé Somm à jeter l’éponge.

D’un côté, on pourrait considérer que cet effarement était justifié. Que l’idée ait pu traverser l’esprit du conseil d’administration de confier la direction d’un tel journal à un idéologue UDC en dit long sur la porosité de la frontière entre les affairistes radicaux de la Paradeplatz et les Waldstätten agraro-blochériens.

De l’autre, on remarquera au contraire que la virulence des levées de boucliers, notamment de la rédaction, montre qu’un abîme sépare bien ces deux mondes. Malgré les alliances électoralistes de circonstance, d’ailleurs souvent encouragées dans les colonnes même de la NZZ. Un abîme qui ne sépare pas seulement UDC et radicaux mais aussi les deux principaux modèles politiques entre lesquels, votations après votations, les Suisses ne semblent cesser d’hésiter. Les deux seules voies qui ont des chances de s’imposer, si l’on admet que la gauche reste globalement très minoritaire.

Deux visions du monde qu’a résumé en plein combat le boss de la NZZ am Sonntag, Felix E. Müller. D’un côté des libéraux élitistes épris de progrès, mondialistes armés d’une pensée économique globale, et de l’autre des nationaux conservateurs, isolationnistes et rétrogrades sur les questions de société. On peut craindre qu’il faille à terme choisir entre ça et ça. Surtout, comme l’a martelé en axiome définitif Félix E. Müller, «un libéral estampillé Blocher, cela n’existe pas!».

Pourtant, un vrai doute subsiste. Et si tout cela n’était que vaudeville de façade, pantalonnade pour la galerie, caprice enfantin autour d’un beau jouet? Si ces deux mondes, le libéralisme éclairé des radicaux et l’obscurantisme nationaliste de l’UDC n’étaient que les deux faces d’une même médaille?

C’est ce que suggère le patron de la blochérolâtre Weltwoche, Roger Köppel, dans son soutien apporté à l’hypothèse Somm en forme d’appel à la grande réconciliation UDC-radicaux: «il faut arrêter les guerres de tranchées névrotiques». Tous les radicaux, d’ailleurs, ne se sont pas franchement indignés. Le très droitier Filippo Leutenegger, ancien pape d’Arena, trouvait même que le choix de Somm était une bonne idée pour redynamiser le titre dans la guerre qui l’oppose au Tages Anzeiger.

Au-delà des alliances intéressées, la réponse sur le degré réel de cousinage devrait intervenir au moment de renouveler le siège d’Eveline Widmer-Schlumpf fin 2015. Lorsqu’il faudra bien qu’une majorité de radicaux favorise ou empêche l’entrée d’un deuxième UDC au Conseil fédéral. On se réjouit des prises de positions alors d’une vieille tante forcément grincheuse.