LATITUDES

Le spectacle du sport électronique

Plus de 70 millions de personnes ont regardé d’autres gens jouer à des jeux vidéo en 2013. Une vague qui a permis l’émergence de professionnels.

La petite île verte flotte dans l’air. Rondoudou, un petit animal rose en forme de boule, éclate Sheik, un ninja bleu et blanc. Rondoudou enchaîne les coups de pied. Le ninja part dans les airs. Et il explose.

Le grand blond au teint blafard qui tient une manette est assommé. Le petit brun à ses côtés affiche un grand sourire. Et la foule assemblée autour des deux joueurs explose de joie. Mang0 vient de battre le fameux joueur Mew2King au jeu «Super Smash Brothers Melee» devant des milliers de spectateurs lors de la compétition de jeux vidéo «EVO 3». Dans le milieu, la rivalité entre les deux joueurs est aussi mythique que celle entre Roger Federer et Rafael Nadal au tennis.

Les premières compétitions de jeux vidéo ont vu le jour dans le courant des années 1990. Mais cela restait un phénomène isolé. Depuis la fin des années 2000, ces tournois ont explosé.

Un trophée de 2 millions de dollars

En mars 2013, le tournoi «Intel Extreme Masters» à Katowice en Pologne a attiré 73’000 personnes. La même année, plus de 70 millions de spectateurs ont regardé d’autres personnes jouer à des jeux vidéo sur internet et dans le monde réel. Cela a même donné naissance à une génération de joueurs professionnels qui peuvent gagner des centaines de milliers de dollars par année. Joueur le mieux payé de tous les temps, le Coréen Lee Jae Dong a remporté 519’000 dollars en 52 tournois en jouant à «Starcraft». Lors d’un tournoi européen consacré au jeu «League of Legends», les prix se sont élevés à près de 2 millions de dollars. Des sommes financées par des sponsors comme l’opérateur téléphonique T-Mobile ou Coca-Cola, qui souhaitent toucher un public qui s’est détourné des canaux de publicité traditionnels comme la télévision et la presse écrite.

Ces joueurs compétitifs sont d’origines diverses. «On voit des adolescents au look geek, mais il y a aussi beaucoup de gens dans la vingtaine, voire trentaine, qui ont une carrière», explique Travis Beauchamp, le réalisateur d’un documentaire sur le sujet nommé «The Smash Bros». Mais les meilleurs d’entre eux, dont Mang0 et Mew2king, ne sont pas devenus les joueurs qu’ils sont par hasard. «Il faut certes beaucoup de talent, explique Christopher Fabiszak, ancien joueur de compétition. Mais il est indispensable de s’entraîner intensivement.»

Comme un match de football

Les joueurs de compétition s’entraînent au minimum une fois par jour. «Il faut aussi passer du temps, seul devant son écran, à développer de nouvelles techniques», précise Christopher Fabiszak. Un phénomène qu’il appelle le «laboratoire». Lui a, par exemple, découvert la technique du «wavedashing» dans le jeu «Super Smash Bros.», qui lui permet de faire glisser son personnage. Il s’est ensuite fixé comme objectif d’en faire 50 par jour: «Comme pour des pompes, je voulais m’habituer à la technique.»

Au fil des entraînements, le joueur professionnel développe son style. «Chaque personne joue différemment et a une signature particulière», raconte Travis Beauchamp. Mew2King a ainsi reçu le surnom de «Robot» pour sa capacité à décortiquer le jeu et le style de ses adversaires. Mang0 se fait surnommer «The Kid» pour sa manière survoltée de jouer, en improvisant.

Pour l’audience qui suit les affrontements assis sur des gradins ou par écrans interposés sur Twitch (plateforme vidéo sur le web spécialisée dans les jeux vidéo, ndlr), ces évènements ressemblent à un match de football ou de hockey sur glace. «Vous soutenez votre joueur préféré ou votre personnage favori comme lorsqu’un supporter de sport traditionnel soutient le FC Barcelone ou Lionel Messi, explique Travis Beauchamp. Et comme lorsque vous regardez un autre sport, vous admirez les coups lancés par les joueurs et le spectacle qui se déroule sous vos yeux.»

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Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 8).