LATITUDES

La perche à selfie, objet de l’année 2015?

Enthousiasmant, dérangeant, dangereux, antisocial… Le «selfie stick» est l’accessoire dont tout le monde parle.

Il s’en est tenu à un rien pour que, déséquilibrée, je tombe dans un canal vénitien. A l’origine de cette anicroche, une jeune femme qui déploie subitement un objet me heurtant dans le cou. Je tressaille de surprise, me retourne, dévie de ma trajectoire et me retrouve à quelques centimètres d’un plongeon forcé. De bien curieuse manière, je venais de faire connaissance d’un nouvel accessoire: la perche à selfie, le bras pour selfie, le «selfie stick», en anglais, le «Selfie-Stab» ou «Selfie Schlange», en allemand. Ou encore «Narcissistick» et «the wand of Narcissus», pour ses détracteurs.

La première apparition de ce gadget technologique remonterait à 1995, dans un livre intitulé «101 Unuseless Japanese Inventions». Vingt ans plus tard, ce bras télescopique envahit la planète, bien au-delà du cercle des touristes asiatiques. Fini les bras désespérément trop courts pour cadrer à souhait. Ce nouveau venu permet à un individu ou un groupe de se prendre en photo dans un cadre élargi et d’éviter, grâce à quelques dizaines de centimètres supplémentaires, de déformer les visages.

Placé au bout d’une canne, le smartphone ou l’appareil photo est déclenché par une fonction de retardement ou une commande Bluetooth. Ce rapport original à la prise de vue ouvre un nouveau marché avec, en ce moment, une offre qui ne parvient pas à suivre la demande. Une perche d’entrée de gamme est vendue 4 euros alors que les modèles les plus courants se situent entre 20 et 30 euros.

Le magazine «Time» a estimé que le «selfie stick» comptait parmi les 25 meilleures inventions de 2014. Bien des devins l’ont fait figurer sur la liste des objets qui vont marquer 2015. Il aura effectivement marqué Noël dernier en étant le cadeau le plus déposé sous les sapins américains. Le hashtag #selfiestick était en tête sur Twitter, le 25 décembre, quand les photos prises avec le cadeau tout juste déballé ont été postées sur le réseau. «Le 31 décembre, on pouvait à peine marcher à travers les zones les plus touristiques de New York sans se faire piquer ou pousser par la dernière folie des accessoires numériques», observait le «New York Times». Il n’y a pas qu’à Venise!

Et si cette technologie sans fil fondée sur l’émission d’ondes représentait un danger sanitaire potentiel? La Corée du Sud est partie en guerre contre ce nouveau gadget Les vendeurs de perches non homologuées risquent 22’000 euros d’amende et trois ans de prison, selon une loi entrée en vigueur le 21 novembre 2014. Certains modèles non certifiés fonctionnant en Bluetooth pourraient émettre, selon les autorités, des ondes néfastes d’où leur objectif: exiger un contrôle des produits avant leur mise en vente.

En Grande-Bretagne, ce sont les clubs de foot qui sont en train de bannir les perches à selfie. Arsenal et Tottenham les ont interdites de leur stade. A l’Emirates Stadium ou à White Hart Lane ces dispositifs doivent être déposés à l’entrée. «Le règlement du club interdit tout objet qui pourrait être utilisé comme une arme et compromettre la sécurité publique», explique un porte-parole d’Arsenal. A Tottenham, la mesure a été mise en place après la plainte d’un fan. Manchester qui a déjà éliminé laptops et tablettes d’Old Trafford pourrait prochainement y ajouter les «selfie sticks».

Pourquoi le taire, le succès des perches à selfie ne m’enthousiasme pas. Depuis que je ne prends plus de photo, il me semblait avoir acquis la tête de celle qui en prend pour les autres. Or les «Vous ne pourriez pas nous prendre en photo?» vont se raréfier. Des contacts souvent très sympathiques se nouent alors. Antisociale la perche à selfie? Non seulement dangereuse physiquement, elle l’est aussi socialement.