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Lorsque le jeu vidéo entre au musée

De plus en plus d’artistes s’inspirent des jeux vidéo dans leurs créations. Et les grands classiques, comme «Tetris» ou «Mario Bros», sont désormais intégrés aux collections du Musée d’art moderne de New York.

Le jeu vidéo a été coopté par l’art il y a une vingtaine d’années, sous l’impulsion d’une génération d’artistes qui ont grandi avec une console entre les mains. «Le détournement joue un rôle important dans ces productions, souvent avec une portée critique ou ironique, précise Daniel Sciboz, qui coordonne l’orientation Master en Media Design à la Haute école d’art et de design HEAD-Genève. Cela renvoie à la culture du “hacking” et du partage de code “open source” en informatique. A la manière du “remix” pour le contenu, le détournement de technologies est une démarche qui stimule la créativité, que nous valorisons dans l’enseignement du game design à la HEAD.»

Le Japonais Jun Fujiki a, par exemple, juxtaposé plusieurs consoles de taille et de résolution variables entre lesquelles se déplace le personnage du jeu «Super Mario Bros», dans le cadre de son projet Game Border. «Ce dispositif permet d’interroger la façon dont les nouvelles technologies redéfinissent l’art et le divertissement», note-t-il. Le collectif belgo-néerlandais Jodi a pour sa part modifié deux jeux classiques, «Wolfenstein 3D» et «Quake», pour sa série «Untitled Game» en supprimant des éléments du décor, jusqu’à aboutir à un écran entièrement blanc.

En Suisse, l’artiste Hervé Graumann, qui enseigne à la HEAD, a créé une installation au début des années 1990 appelée «Raoul Pictor cherche son style», composée d’un écran où l’on voyait un peintre fictif s’affairer dans son atelier. L’œuvre a récemment été actualisée, avec la collaboration de l’artiste Matthieu Cherubini, sous forme d’application. Les tableaux «peints» par Raoul Pictor – dont la composition est déterminée par l’ordinateur – peuvent désormais être intégrés à des photos ou partagés sur Flickr.

«Nous avons voulu jouer sur les contrastes entre virtuel et réel, entre matériel et immatériel, détaille Hervé Graumann. Il s’agissait aussi de montrer comment les ordinateurs ont remis en question la notion de l’auteur et de l’œuvre unique. Chaque pièce est désormais reproductible à l’infini. Il n’y a plus d’original, seulement des copies.»

Plus récemment, le jeu vidéo en tant que tel a fait son entrée dans les musées. L’exposition «Game On», qui a eu lieu en 2002 au Barbican de Londres, représente la première reconnaissance institutionnelle du jeu vidéo dans le monde de l’art. En 2013, le Musée d’art moderne de New York (MoMa) a intégré 14 jeux dans sa collection permanente.

«Les critères pour juger de la valeur artistique d’un jeu vidéo ne sont pas les mêmes que pour d’autres formes d’art comme le cinéma ou la littérature, explique le critique romand de jeux vidéo Sandro Dall’Aglio. La beauté des décors ou l’intérêt du récit importent moins que la mécanique du jeu et la façon dont les règles sont combinées.» Parmi les jeux sélectionnés par le MoMa figurent plusieurs classiques, qui ont inspiré la création d’un genre, comme le jeu de plateforme «Mario Bros», le célèbre jeu de puzzle «Tetris» ou encore «Space Invaders», un des premiers jeux de tir, précise-t-il.

La Suisse a fait partie des pays précurseurs à reconnaître la valeur artistique du jeu vidéo. «Pro Helvetia a lancé un programme de soutien en 2010 déjà», relève Sylvain Gardel, chargé des programmes liés à la culture numérique auprès de l’organisation. Doté d’un budget de 1,5 million de francs, il a été remplacé en 2013 par le programme «Mobile. In touch with digital creation», financé à hauteur de 1,8 million de francs.

Les jeux suisses se distinguent par des visuels soignés et minimalistes, renvoyant à l’âge d’or du graphisme helvétique. En témoignent les décors en ombre chinoise du poétique Feist ou les formes géométriques qui s’emboîtent dans Drei du studio Etter. Diplômés du Master en Media Design de la HEAD, les Genevois de Aplelab ont été primés ce printemps à la «Game Developers Conference» de San Francisco pour «IDNA», un polar futuriste qui permet au lecteur-joueur de naviguer dans le décor et dans l’histoire au moyen de sa tablette.

Mais malgré ces succès, les rapports entre art et jeux vidéo restent conflictuels. Pro Helvetia s’est heurtée à un mur d’incompréhension lorsqu’elle a décidé de soutenir ce médium en 2010. «A l’époque, on a fait le lien entre les jeux vidéo et l’addiction ou la violence», précise Sylvain Gardel.

Le jeu vidéo est encore sous-représenté dans les foires d’art contemporain et les musées. «Il reste avant tout perçu comme un produit industriel, comme un genre populaire qui n’est pas pleinement reconnu en tant que forme d’expression artistique», fait remarquer Daniel Sciboz. Avec son éthique de création partagée et sa remise en question de l’œuvre unique, le jeu vidéo reste encore peu adapté au marché de l’art.
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Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 8).