TECHNOPHILE

Chauffer sa maison avec un data center

Une start-up allemande conjugue cloud computing et chauffage d’immeubles. En Suisse, la technique peine à s’imposer.

L’essor du cloud computing ne se traduit pas seulement en échanges de données. Il entraîne aussi une formidable source de chaleur dans les data centers, où les serveurs tournent à plein régime et nécessitent de puissants systèmes de refroidissement. Pourquoi ne pas utiliser cette énergie pour chauffer les maisons? C’est le concept de la start-up allemande Cloud and Heat, qui propose deux services complémentaires: gestion informatique à distance et chauffage de logements.

«Nous installons dans des immeubles les serveurs que les sociétés utilisent pour héberger leurs données, explique Marcel Schretzmann, un des trois fondateurs de l’entreprise basée à Dresde. La chaleur ainsi dégagée est employée pour chauffer le bâtiment. Il faut environ dix-sept serveurs pour obtenir la température souhaitée dans une maison familiale.» Les activités numériques d’une entreprise dans un lieu A servent donc à chauffer une habitation dans un lieu B, qui peut se trouver à des centaines de kilomètres.

Un pari gagnant pour les deux parties. Cloud and Heat peut offrir des services de cloud computing moins chers, car elle n’a pas besoin de financer le refroidissement des serveurs. Les propriétaires d’immeubles qui s’intéressent à ce système de chauffage, quant à eux, paient 12 000 euros pour son installation. La start-up prend en charge la maintenance et le fonctionnement pendant une période de quinze ans. Environ 700 serveurs ont été ainsi posés un peu partout en Allemagne; une capacité informatique importante, qui n’est pas totalement exploitée. «Notre priorité consiste aujourd’hui à trouver des clients pour nos solutions de cloud computing, précise Marcel Schretzmann. Nous en comptons une centaine pour l’instant.»

En Suisse, la technique existe aussi, mais elle est appliquée différemment. La multinationale IBM a logé en 2008 un data center dans un ancien bunker militaire d’Uitikon (ZH). Sa chaleur sert à chauffer l’eau de la piscine communale qui se trouve à proximité. L’installation offre une économie d’émissions de CO2 correspondant à celles d’une voiture familiale moyenne. Autre exemple à Berne: la chaleur générée par les serveurs du nouveau centre de calcul Swisscom est destinée aux habitations adjacentes.

Il y a deux ans, Cloud and Heat avait essayé de pénétrer le marché suisse par le biais d’une collaboration avec la ville de Berne. Sans succès. «Nous avions trouvé le concept intéressant, explique Raphaël Wyss, porteparole d’Energie Wasser Bern. Mais nous estimions que la décentralisation des installations dans plusieurs immeubles constituait un vrai problème, notamment sur le plan de la sécurisation des serveurs et de la protection des données.» Un tel concept ne représente pas une option pour les futurs projets de production d’énergie de l’entreprise. «En revanche, nous comptons profiter de la chaleur générée par les data centers existants.»

Marc Boudriot, directeur général de la société de cloud computing Syselcom, au Mont-sur-Lausanne, partage cette vision: «Le principe de base du cloud computing consiste à réaliser des économies en regroupant les serveurs. L’offre de Cloud and Heat ne va donc pas dans ce sens-là. En revanche, l’idée d’utiliser ces énormes capacités de chaleur est intéressante et peut devenir un marché de niche dans les années à venir. Je pense notamment à de très grands immeubles administratifs.»

Le fondateur de Cloud and Heat Marcel Schretzmann croit en la technique. «Nous répondons à deux tendances fortes du moment: le cloud computing et la production de chaleur écologique.» La start-up connaît d’ailleurs aujourd’hui une croissance annuelle de 25 à 40% de son chiffre d’affaires et vise la rentabilité à partir de 2016.
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.