LATITUDES

Lunettes jaunes et suspense hitchcockien à l’Euro 2000

Guillaume Dalibert a suivi tous les matches, ou presque, de ce championnat d’Europe des nations. Il en a retenu quelques détails significatifs.

Le premier tour du championat d’Europe des nations a vu les équipes latines et de l’Est humilier les footballeurs saxons et vikings. L’Allemagne et l’Angleterre renvoyées à leurs études, les quarts de finale mettront aux prises plusieurs favoris (France, Pays-Bas, Italie) et des invités surprise, comme la Turquie et la Roumanie.

En attendant, passons en revue quelques images de cet Euro 2000 qui resteront gravées dans les mémoires des téléspectateurs.

Un cannonier nommé Milosevic

Le jargon du ballon rond veut que les chasseurs de but patentés soient étiquettés de l’adjectif très martial de «cannonier». Dans ces conditions, il est plutôt piquant de constater que le meilleur buteur du premier tour est un cannonnier nommé Milosevic, prénom Savo.

A 27 ans, l’attaquant yougoslave effectue sa meilleure saison, lui qui évolue dans le championnat espagnol sous les couleurs du Real Saragosse. Mais avant de rejoindre la péninsule ibérique, Savo Milosevic n’avait pas vraiment la même réputation puisqu’à Birmingham, où il joua durant trois saisons dans le club d’Aston Villa, le public avait pris l’habitude de lui donner du «Savo miss a lot» («Savo rate beaucoup»).

Un sobriquet plutôt vexant pour ce fier gaillard formé au Partizan Belgrade, sélectionné 51 fois dans l’équipe nationale (24 buts). La chronique retient également de lui qu’il a parfois des problèmes disciplinaires, les cartons jaunes ayant la furieuse tendance de se diriger vers lui sans crier gare.

De manière plus générale, ce problème ne concerne pas que Savo, mais l’équipe yougoslave tout entière, trop entière, trop sanguine. Nous le soulignons, car selon nous, le onze serbo-monténégrin fait désormais figure de favori de la compétition au même titre que la France ou les Pays-Bas.

Si l’équipe yougoslave devait remporter l’Euro 2000, elle aurait alors deux manières de faire valoir son prestige, une fois retournée au pays. La première consisterait à emboucher les trompettes du nationalisme en affirmant qu’il s’agit d’une indiscutable victoire serbe contre le monde entier. La seconde pourrait être de confier à Milosevic (le footballeur) la mission d’aller convaincre Milosevic (l’autre) d’accepter une bonne fois pour toutes un carton rouge.

Les lunettes de Davids

Evidemment, au début, quand on le voit comme ça avec son look invraisemblable, il agace. Edgar Davids, puisque c’est de lui qu’il s’agit, anime le milieu de terrain de l’équipe nééerlandaise – mais gagne sa vie à la Juventus de Turin. Batave, il est le seul homme du onze des Pays-Bas, et probablement le seul joueur d’Europe, à courir sur le terrain avec des lunettes de soleil gigantesques. Déjà peu discrètes en raison de la taille de la monture, ces lunettes sont en outre particulièrement télégéniques vu la couleur des verres, d’un jaune très SF.

Quand il n’est pas occupé à galoper comme un fou ou à récupérer envers et contre tout des ballons qui semblent perdus d’avance, Edgar Davids utilise sa formidable énergie à contester toutes les décision de l’arbitre. Il proteste, vitupère, apostrophe sans cesse ses coéquipiers, râle et crise si fréquemment que son principal souci semble moins de mener l’offensive que d’éviter d’avoir à finir la rencontre aux vestiaires.

Durant l’Euro 1996, en Angleterre, il avait évité l’expulsion sur le terrain pour se faire renvoyer à la maison par l’entraîneur, lassé de de ses sautes d’humeur. Son incorrection footballistique le rend d’autant plus attachant que l’on vient d’apprendre qu’il porte en réalité des lunettes médicales, «grâce à une dérogation spéciale de la FIFA».

Hitchcock pour deux minutes

Espagne-Yougoslavie, l’autre soir, restera dans l’histoire comme l’une des rencontres les plus folles des deux dernières décennies. Le match était terminé à l’issue du temps réglementaire quand l’arbitre donna cinq minutes de jeu supplémentaire. Les Ibères, moins frais que leurs adversaires yougoslaves, étaient menés 3 à 2 et avaient perdu tout espoir de se qualifier.

«Je me voyais déjà dans le bus qui nous ramènerait à notre hôtel dans un silence d’outre-tombe», dira plus tard le centre-avant madrilène Raul.

A la 93e minute, un penalty transformé par Mendieta, le meneur de jeu basque du FC Valence, remettait les deux équipes à égalité. A cet instant, les Espagnols étaient toujours éliminés, puisque seule une victoire leur aurait permis de se qualifier pour les quarts de finale.

Seulement voilà, le football réserve parfois à ses thuriféraires des renversements de situation qui légitiment leur amour des épithètes antiques. Oui, il y avait de la tragédie grecque dans l’air, quand à trois secondes du coup de sifflet final, la dernière offensive espagnole se termina par cette invraisemblable reprise de volée qui trompa le portier yougoslave. L’Espagne gagnait par 4 buts à 3 et se qualifiait pour la suite de la compétition. Dans les tribunes, on crut apercevoir, une fraction de seconde, le profil d’Alfred Hitchcock entre deux avenantes supportrices ibères le nombril à l’air.

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Guillaume Dalibert, journaliste, vit à Paris. Il travaille occasionnellement pour Largeur.com.