LATITUDES

Les emojis sous la loupe

L’usage des emojis, émoticônes et smileys n’est pas anodin. Devant les tribunaux américains, ces hiéroglyphes 2.0 peuvent aggraver ou alléger les soupçons qui pèsent sur un accusé. A nouveau langage, nouvelles interprétations.

Des emojis souriants, la bouche en cœur, d’autres grimaçants, en pleurs ou en colère: ces figurines envoyées, sans trop réfléchir, reflètent-elles toujours nos sentiments ou intentions? Un débat à ce propos agite les cours de justice américaines. Ces hiéroglyphes 2.0 ne sont pas forcément aussi explicites que des mots. Y a-t’il de la sincérité ou de l’empathie dans un emoji qui pleure, de la joie et non de l’ironie dans celui qui affiche un large sourire? Pas facile de trancher.

Aux Etats-Unis, une dizaine de procès ont déjà eu recours à l’analyse de ces symboles graphiques. Deux exemples. Une mère, accusée d’avoir empoisonné son fils, a vu ses avocats saisir comme preuve de sa gentillesse un de ses tweet agrémenté d’une émoticône en larmes. A leurs yeux, elle démontrait la compassion maternelle. A New York, un jeune homme a été arrêté pour avoir posté sur Facebook un emoji de pistolet. Une menace? Bien que politiquement plus correct, la nouvelle gamme d’émoticônes aux différentes couleurs de peau, lancée fin février par Apple n’empêchera pas de fâcheux dérapages fomentés par de petites icônes à l’allure bien innocente.

Le récent procès du fondateur présumé de Silk Road, la plus grande plateforme de vente de drogue en ligne fermée en 2013, est un autre exemple. Un smiley, présent à la fin d’un message de l’accusé, y a joué les invités surprise. Son avocat s’en est saisi pour relever l’omission qui en avait été faite lors de la lecture, par le procureur, d’une conversation de son client sur le chat. Un oubli effectivement fâcheux qui incita le juge à ordonner au jury de prendre dorénavant note de tous les symboles présents dans les messages de l’accusé. Une première dans l’histoire judiciaire, qui pose une question importante, relative au contenu de la communication textuelle. Avec les échanges numériques, impossible de ne pas y intégrer les emojis.

Dans un avenir proche, ces Messieurs les magistrats devront, non seulement outre-Atlantique mais à l’échelle planétaire, déterminer le sort qu’ils entendent réserver à ces symboles aux significations souvent confuses. Deviendront-ils alors, à l’image des mots, sources possibles et fiables de preuves?

Autre sphère, autre occasion d’interpréter l’usage d’emojis: les sites de rencontres. Une étude a été menée par une équipe d’anthropologues de l’université de Rutgers (New Jersey) à partir des données fournies par le site «Match.com». Les messages de 5675 célibataires ont été analysés sous l’angle de leur contenu en emojis. Les résultats obtenus permettraient d’établir un lien entre emojis envoyés et intensité de l’activité sexuelle.

«Les utilisateurs d’emojis ont sensiblement plus de relations sexuelles que les non-utilisateurs, indique Helen Fisher, responsable de l’étude. 43% des hommes qui envoient des emojis ont au moins un rapport sexuel par mois contre 26 % des non-utilisateurs. Chez les femmes, on passe de 37% à 13%». Les usagers de ces petits symboles ont également davantage de rendez-vous galants et sont plus désireux de se marier. Enfin, détail croustillant, les femmes qui utilisent des émoticônes en forme de baisers arriveraient plus facilement à l’orgasme!

Alors que l’on tente, non sans peine, de faire dire tout et peut être n’importe quoi, à ces icônes numériques, une nouvelle herméneutique s’impose.