KAPITAL

Swiss Re: le mastodonte du risque

Typhons, crashs aériens ou épidémies: le coût humain et matériel des grandes catastrophes peut atteindre des niveaux difficilement concevables. Pour se protéger, les assureurs ont recours à des réassureurs comme Swiss Re. Portrait d’un géant historique.

La réassurance est née des flammes. L’incendie qui ravagea le quart de la ville de Hambourg en 1842 avait tragiquement pointé les limites des couvertures classiques en cas de sinistre majeur, et conduit à l’apparition des premiers réassureurs modernes. Mêmes causes, mêmes effets en Suisse, où l’incendie de Glaris jouera vingt ans plus tard un rôle déclencheur. En décembre 1863, Helvetia Assurances de Saint-Gall, le Credit Suisse de Zurich et la Handelsbank de Bâle s’associent pour créer la Compagnie suisse de réassurance Swiss Re. La jeune société connaîtra une croissance constante, marquée par une internationalisation de ses activités et de ses implantations: l’Afrique du Sud en 1950, l’Australie en 1955, Hong Kong en 1956, Toronto en 1959… Les contrats s’accumulent au gré des progrès techniques et d’une mondialisation qui créent de nouveaux risques que l’assurance ne peut plus assumer seule.

151 ans plus tard, Zurich peut se targuer d’abriter le siège d’un des grands acteurs du marché de la réassurance. Swiss Re, fort de 11’500 collaborateurs répartis dans 30 pays, se classe au deuxième rang mondial derrière le leader allemand Munich Re. Les deux compagnies font figure de mastodontes sur un marché mondial évalué à 230 milliards de dollars. Le fossé avec les autres acteurs du secteur est marqué dans cette activité très concentrée: «Les dix premiers groupes mondiaux contrôlent près de 70% du marché, explique Eleanor Taylor-Jolidon, analyste pour Union Bancaire Privée. Quelques nouveaux acteurs apparaissent en Asie ou dans les Bermudes, mais aucun ne joue dans la même catégorie.»

Au cours de ses quinze décennies d’existence, l’entreprise dirigée depuis 2012 par le Luxembourgeois Michel Liès a survécu à un événement qui a bien failli avoir sa tête: le tremblement de terre de San Francisco en 1906 a provoqué une perte nette de 4,3 millions de francs suisses soit près de la moitié de ses capitaux propres de l’époque. D’autres événements ont mis le groupe à rude épreuve, dont la crise de 1929, deux guerres mondiales et une liste impressionnante de drames souvent emblématiques, à commencer par le naufrage du «Titanic». Si le coup est parfois passé près, Swiss Re en a tiré un historique incomparable en matière de calcul du risque — l’alpha et l’oméga du métier. En transposant son expérience des crises et des dommages du passé aux situations actuelles, la firme suisse peut compter sur sa longue expérience pour affiner constamment ses modèles de prévision.

Si Swiss Re propose aujourd’hui également des services de risk management et de gestion de capital, la réassurance proprement dite reste son cœur de métier et représente 80% de son activité. Laquelle se porte bien: au troisième trimestre, le secteur Dommages et Propriété a vu le volume des primes encaissées progresser de 12,3%. Ce taux a même bondi de 15,8% dans le secteur Vie et Santé. Avec près de 4,4 milliards de dollars de revenu net et un volume de 32 milliards de fonds propres, le géant suisse est en mesure de satisfaire largement des actionnaires qui ont touché en 2014 les meilleurs dividendes du marché suisse, autour de 8 francs par action.

Au troisième trimestre 2014 pourtant, des marges et des bénéfices moins bons que prévu ont inquiété les marchés. La faute au hasard: les catastrophes naturelles ont été moins meurtrières et destructrices au cours des dernières années. Une heureuse nouvelle pour tout le monde, sauf pour les réassureurs: en aval, ce recul du taux de risque permet en effet aux assureurs d’obtenir des conditions plus avantageuses au cours de la renégociation annuelle de leurs contrats… La baisse tarifaire globale, qui peut atteindre de 15 à 20% en Amérique du Nord, n’est pas compensée par les rares hausses enregistrées sur quelques marchés isolés. Et la situation perdurera jusqu’à ce qu’un nouveau drame fasse office de piqûre de rappel. «C’est tout le paradoxe: à court terme, une catastrophe coûte cher aux réassureurs. A long terme, elle leur permet d’augmenter leurs tarifs contractuels», explique Dominique Boone, spécialiste de la réassurance au Crédit Agricole.

Dans ce contexte morose, le groupe base ses perspectives de croissance sur le développement des classes moyennes dans les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Indonésie). Avec la hausse du niveau de vie dans ces régions, des millions de personnes se mettent à couvrir leurs biens, leurs entreprises ou leurs récoltes. D’ici à 2020, le groupe estime que ces marchés représenteront 24% du marché mondial de l’assurance directe, contre 18% aujourd’hui. Mécaniquement, les assureurs se couvriront à leur tour auprès de Swiss Re ou de ses grands concurrents.

Au-delà, le Zurichois pourra tôt ou tard compter sur une reprise du marché des assurances-catastrophes, poussée par un phénomène indéniable: la hausse de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes. Réchauffement climatique oblige, typhons et tempêtes tropicales se multiplient. Tôt ou tard, un drame majeur comparable à l’ouragan Katrina jouera en faveur de la réassurance…
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L’assurance des assureurs

Activité méconnue et obscure pour le grand public, la réassurance se révèle pourtant indispensable au fonctionnement du secteur de l’assurance dans son ensemble. Sans elle, aucun gratte-ciel ne sortirait de terre et pas un avion de ligne ne volerait, aucun assureur ne pouvant prendre le risque d’assumer seul les charges de certains sinistres.

C’est en transférant une partie des risques aux réassureurs que les assureurs peuvent immobiliser de moins grandes quantités de capital-risque, donc souscrire davantage d’affaires.

Concrètement, l’assureur qui couvre, par exemple, un viticulteur confronté à un orage qui détruit sa récolte peut avoir à lui verser des indemnités considérables. Au-delà d’un certain seuil, les clauses négociées avec son réassureur sont déclenchées et ce dernier indemnise à son tour l’assureur.

Mais qui donc assure le réassureur dans le cas d’une crise majeure? Swiss Re et ses concurrents se protègent soit en se couvrant entre eux, soit en émettant des obligations conçues pour faire supporter par des tiers une partie des risques liés à certaines catastrophes.

Les fonds d’investissement, asset managers ou fonds de pension qui se lancent sur ces cat bonds (pour catastrophe bonds) touchent des rendements très élevés, mais ils perdent en revanche tout ou partie des intérêts, voire du capital, en cas de sinistre majeur… Et la note monte vite: en 2011, le tremblement de terre de Honshu a provoqué 35 milliards de dommage. Le 11 Septembre, 40 milliards.
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine.