LATITUDES

Réformer les WC publics: un besoin pressant

Peu fréquentées, parfois dangereuses, les toilettes publiques embarrassent les communes. Des solutions apparaissent: partenariat, suppression… ou transformation en café-restaurant.

Elles sont associées à des odeurs nauséabondes, à des lieux souvent sales, sombres et exigus. Les toilettes publiques effraient. Et posent surtout un problème pour les communes qui les gèrent (la ville de Genève en compte une soixantaine, Lausanne 52, Fribourg 25, Sion 11 et Bienne 6). «Leur usage est détourné depuis plusieurs années, certaines sont devenues des lieux de prostitution, de drogue et de délinquance», explique Claude-Alain Macherel, codirecteur du Département des constructions et de l’aménagement de la ville de Genève, où une dizaine de latrines situées en sous-sol ont dû être fermées au cours des dernières années sur ordre de la police judiciaire.

Quelles dispositions ont été imaginées pour améliorer la situation? «Nous avons tout essayé… mais il n’y a pas de panacée», concède le responsable municipal. Rendre les toilettes payantes? «Nous l’avons expérimenté, et cela a abouti à une avalanche de plaintes. La plupart de nos WC publics sont aujourd’hui gratuits. La stratégie consiste à compléter l’offre dans certains lieux, notamment les parcs de la ville, avec l’ajout de quelques toilettes à lavage automatique et de continuer à rénover les cabines vétustes, soit encore un tiers de nos WC.»

En ville de Lausanne, les toilettes publiques posent également problème. Sur les 71 édicules que proposait la capitale vaudoise, les autorités en ont fermé 19 en 2013, sur la base de leur taux de fréquentation. «Ces toilettes n’avaient plus de raison d’être. Elles ne se trouvaient pas sur un cheminement logique. Et malgré leur présence, des personnes faisaient leurs besoins dans la nature, juste à côté!» commente Olivier Français, directeur des Travaux.

Trois de ces pavillons aujourd’hui fermés, appartenant au patrimoine de la ville, seront transformés en bar-restaurant ou en café dans le courant de l’été. Le Montriond ouvrira ainsi en lieu et place des WC du giratoire situé au bas de l’avenue William-Fraisse, et le Caffè Strada sera aménagé près du CHUV. Leurs exploitants géreront ces lieux en toute indépendance. «Une discussion est toutefois menée pour que les toilettes de ces établissements puissent rester accessibles aux passants, avec l’octroi d’une clé par les gérants.»

Rénovations coûteuses

Si les communes romandes ne sont soumises à aucune législation concernant la mise à disposition de ces lieux d’aisance, toutes se disent conscientes de leur responsabilité d’offrir ce service public et de répondre à une demande de la population. «A travers la mise à disposition et la tenue de nos WC, c’est aussi une image marquante que l’on donne de notre commune, rappelle Claude-Alain Macherel à Genève. Car c’est souvent la première chose que les touristes découvrent en arrivant dans une ville.»

La rénovation, le remplacement ou l’entretien régulier des toilettes publiques constituent une dépense importante dans les budgets communaux. A Lausanne, l’octroi d’un crédit de 4 millions de francs a ainsi été réclamé au Conseil communal pour la restauration d’une partie des WC d’ici à 2017. Les frais annuels du maintien en bon état s’élèvent pour la ville à près de 1,2 million de francs, soit quelque 6% du budget d’entretien des espaces publics.

A Sion, une somme de 1 million a été débloquée sur dix ans pour la réfection des toilettes turques de la capitale valaisanne. Quant aux cinq luxueuses «ferrazinettes» genevoises, rescapées du projet du conseiller administratif Christian Ferrazino, elles ont coûté chacune 300 000 francs…

Toilettes «accueillantes»

Ce sont d’ailleurs des questions budgétaires qui ont poussé l’an passé Bienne à fermer ses 13 toilettes publiques, avant d’en rouvrir 6 en janvier: «Le nettoyage à lui seul s’élevait à 250 000 francs par an, souligne Rebekka Bachmann, responsable de l’entretien des bâtiments. Et le franc demandé pour l’accès à nos trois toilettes à lavage automatique ne suffisait pas à rembourser les coûts.»

La commune s’apprête néanmoins à tenter une expérience originale. Le concept, venu d’Allemagne, se nomme Nette Toilette et a conquis plus de 200 villes dans le monde depuis son lancement en 2001, dont celles de Lucerne et de Thoune. Il s’agit pour les restaurateurs et cafetiers proches des lieux touristiques, du centre-ville ou de la gare d’ouvrir l’accès à leurs toilettes à tous, sans obligation de consommer, en échange d’une rétribution communale de 40 à 100 francs par mois. La contribution de la ville de Bienne à chaque participant est fixée à 1000 francs par année.

Les visiteurs en seraient informés par un autocollant apposé sur la vitrine de l’établissement. «Pour l’instant, une dizaine de restaurateurs se sont portés volontaires pour une phase d’essai d’une année, précise Rebekka Bachmann. Cela nous permettrait à terme de faire des économies et d’avoir un meilleur contrôle sur l’offre de toilettes.» A noter que la ville d’Aalen, première participante au concept en Allemagne, s’est aujourd’hui totalement convertie à ce «partenariat public-privé» des lieux d’aisance.

L’initiative est cependant loin de plaire à tout le monde. Ainsi, au Café Brésil, situé en face de la gare de Bienne, l’accès aux toilettes est aujourd’hui réglé par un bouton que seules les serveuses au comptoir peuvent activer. «Nous avons intégré ce système avant même que les WC de la ville ne soient fermés, car il y avait trop de problèmes avec l’accès libre», indique la gérante. Un même système est en vigueur au café L’Arcade: «Laisser le passage libre me semble pour l’instant plus problématique que bénéfique», justifie le tenancier.

Exigences contradictoires

Les projets de supprimer les toilettes publiques, de les rendre payantes ou encore d’augmenter les mesures de sécurité (comme l’ouverture automatique des WC publics à Genève après quinze minutes) révèlent des tensions plus globales dans la gestion de l’espace public, estime Luca Pattaroni, chercheur au Laboratoire de sociologie urbaine à l’EPFL. «Il y a une forte contradiction. D’un côté, les villes entendent favoriser une vie culturelle et nocturne riche dans leurs quartiers. Et, de l’autre, elles doivent garantir l’ordre et la propreté de l’espace public, par définition accessible à tous. En prenant l’une ou l’autre de ces mesures pour les toilettes, c’est en quelque sorte aussi fermer l’accès à une frange de la population, comme les personnes sans domicile fixe.»

En attendant que des initiatives originales, comme celle de Bienne, portent leurs fruits, les citoyens qui n’oseraient pas s’aventurer dans les toilettes publiques peuvent toujours se soulager gratuitement dans celles de musées ou encore d’universités, durant leurs heures d’ouverture. Mais gare à ceux auxquels prendrait l’envie pressante d’uriner sur la voie publique. La facture peut être salée: 120 francs à Lausanne, jusqu’à 250 francs à Genève!
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Une version de cet article est parue dans le magazine L’Hebdo.