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L’armée la plus drôle du monde

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Quand l’armée suisse fait parler d’elle au-delà de nos frontières, c’est rarement pour semer, terreur, crainte et désolation. Pas d’intrusion brutale en territoire étranger comme s’en contenterait une vulgaire armada de bandits russes. Ni viols, ni torture, ni décapitation, ni massacre au burin de patrimoines mondiaux de l’humanité, à la manière de fiers et courageux combattants d’un État islamique.

Non. Quand, hélas trop rarement, l’armée suisse rappelle au monde entier sa petite existence, c’est avec le bon goût et la volonté sans doute secrète de faire rire. Souvenons-nous du buzz quasi mondial qu’avait provoqué la divulgation des horaires de nos redoutables chasseurs F/A-18 ne volant qu’aux heures de bureau. Et qui, c’est vrai, jusque-là et à force de postcombustion, n’avaient guère terrorisé que les oreilles évidemment trop délicates des riverains de l’aéroport de Sion.

Voilà que nos grands humoristes à nouilles et képis ressortent leurs nez rouges. Comme nous l’a appris un scoop du Blick, aussitôt repris par les feuilles, sites et réseaux d’ici et surtout d’ailleurs, révélant le bug dont souffrent les nouveaux radars de l’armée Suisse. Des appareils de fabrication allemande, notons, ce qui montre bien que dans un monde devenu largement fou, on ne peut décidément plus compter sur rien ni personne. Ces engins donc, comme chacun désormais le sait, se révèlent incapables de détecter la vraie nature des ruminants à cornes et sabots qui peuplent nos montagnes, allant même jusqu’à en faire des cibles ennemies à abattre sur et dans le champ.

Même le très sérieux et néanmoins satyrique «Canard Enchaîné» a consacré un dessin et un article à l’affaire, sous un titre sans équivoque — «Des radars un peu vaches».

N’oubliant même pas de citer l’impétueux mais néanmoins imperturbable ministre de la défense Ueli Maurer: «Lorsque par exemple une vache se déplace sur les versants, le radar identifie l’animal comme un objet ennemi. Ce qui est ennuyeux». «Tu l’as dit bouffi», persifle l’insolent palmipède qui rappelle aussi que la facture de ces fameux radars a déjà grimpé de 296 à 363 millions de francs suisses. Avant de conclure par un vibrant cri du cœur «Tout ça pour de la bouse».

Se moquer est bien facile. C’est surtout ignorer la puissance plus que symbolique de la vache dans l’imaginaire à croix blanche. La preuve par une des dernières initiatives populaires déposées à la chancellerie fédérale et sobrement intitulée «Pour la dignité des animaux de rente agricoles (Initiative pour les vaches à cornes)». Et qui propose la modification suivante de la Constitution: «La Confédération veille en particulier à ce que les détenteurs de vaches, de taureaux reproducteurs, de chèvres et de boucs reproducteurs soient soutenus financièrement tant que les animaux adultes portent leurs cornes».

Il semble en effet que la corne se perde dans nos pâturages, ce qui contreviendrait à la dignité des animaux et surtout à l’iconographie patriotique. On ne sait pas si le retour en masse des cornes sur la tête des vaches facilitera la tâche des radars allemands. Ce que l’on sait en revanche, c’est que cette désopilante armée a les défenseurs qu’elle mérite.

Roger Köppel par exemple, patron de la très blochérienne Weltwoche, candidat UDC au Conseil national, et chantre infatigable de l’armée de milice et de son service militaire obligatoire. Dont on apprend pourtant que lui-même s’était fait exempté grâce à un certificat médical invoquant «des problèmes psychiques».

C’est toute la force de l’humour de caserne: démontrer que du casque réglementaire à l’entonnoir sur la tête, il n’y a décidément qu’un petit pas.