LATITUDES

Substances toxiques: la menace de l’intérieur

Peinture, détergents et sprays polluent fortement l’air de nos appartements. En Suisse, aucune réglementation ne limite leur usage.

Près de 10% de la population suisse souffre d’asthme. Les enfants contractent plus couramment cette maladie des voies respiratoires, mais aujourd’hui, de plus en plus d’adultes aussi consultent pour des symptômes similaires. «Nous recevons notamment des femmes âgées de 30 à 45 ans, qui souffrent nouvellement d’asthme, de toux persistante ou de bronchite», remarque Laurent Nicod, responsable du Service de pneumologie au CHUV.

Les causes de cette augmentation? «Nous les ignorons, note le spécialiste. Quand nous avons exclu toutes les sources habituelles d’une apparition d’irritation, d’une allergie et d’une inflammation des voies respiratoires, nous nous trouvons le plus souvent face à une boîte noire, une sorte d’impasse. Auparavant, nous pensions que ces nouveaux cas étaient essentiellement dus à l’exposition au tabac. Et les évidences scientifiques le confirmaient. Aujourd’hui, nous savons que le tabac est responsable de 60% de ces maladies, mais les 40% restants? La piste des polluants de l’air intérieur est engagée depuis quelques années.»

Les spécialistes sont effectivement unanimes: l’air de nos intérieurs est dix fois plus pollué que l’air extérieur. Les revêtements tels que la peinture ou les sols, mais aussi les produits que nous utilisons régulièrement, comme des sprays désodorisants, imperméabilisants, ou encore les produits de nettoyage, forts en solvants, en sont responsables. Tous émettent des substances chimiques toxiques que nous inhalons et accumulons dans notre organisme. «Il existe des centaines, voire des milliers, de polluants dans notre air intérieur, explique Laurent Nicod. L’exposition à cette pollution, même à petite dose, a des effets chroniques. Elle touche surtout les voies respiratoires, et peut provoquer sur le long terme des allergies, de l’asthme, attaquer les bronches et prédisposer certaines personnes à développer des cancers du poumon.»

L’héritage du passé

Les spécialistes du domaine de la construction tentent d’identifier ces agents toxiques. L’amiante, une fibre isolante intégrée dans les matériaux de construction et les faux-plafonds jusqu’en 1990 en Suisse, est aujourd’hui interdite. «Il y a un risque d’exposition à l’amiante dans les bâtiments antérieurs à 1991, souligne Marcel Kohler, directeur du Service de toxicologie de l’environnement bâti de l’Etat de Genève. Ce qui représente par exemple près de 80% du parc immobilier genevois. Mais ce risque ne se présente que lorsque l’on décide d’effectuer des travaux, comme une rénovation. Le diagnostic amiante et le processus de désamiantage sont obligatoires et bien connus des professionnels.»

Le plomb, utilisé dans les peintures jusqu’en 2006, a aussi été clairement identifié comme toxique. «Ce sont les enfants qui sont les plus exposés au danger. Il suffit qu’une peinture contenant du plomb commence à s’altérer, s’effrite et qu’un enfant inhale les poussières qui s’en dégagent ou porte les débris à sa bouche pour qu’il s’intoxique.»

Objets irritants

Des objets présents dans de nombreux intérieurs sont aussi sources de pollution. «Les meubles en bois aggloméré, les peintures et les colles notamment peuvent dégager de fortes doses de formaldéhyde, un gaz irritant, note Marcel Kohler. Cette substance se dégage aussi de la fumée de cigarette ou lors de la combustion de bâtonnets d’encens, tout comme le monoxyde de carbone (CO), un gaz inodore, issu d’une mauvaise combustion dans un espace avec peu d’oxygène.»

Les sprays désodorisants, imperméabilisants ou les produits ménagers et les désinfectants restent les agents auxquels chacun risque d’être exposé à plus ou moins forte dose sur le long terme. Considérés comme nocifs, ils forment un nuage de particules, souvent assez fines pour atteindre les alvéoles des poumons. «Leur usage domestique ne devrait causer aucun souci, explique Horacio Herrera, hygiéniste du travail à l’Institut universitaire romand de santé au travail (IST). Le danger réside dans leur utilisation abusive, et pour les imperméabilisants, surtout dans leur usage en milieu clos. Et si les fabricants sont tenus d’indiquer quels sont les composants utilisés sur l’étiquette, ils ne sont par contre pas obligés d’en détailler la concentration…»

Pas de réglementation

En Suisse, aucun seuil limitatif n’est imposé aux fabricants. «La mise sur le marché des matériaux de construction, des objets et produits d’intérieur est basée sur le principe de contrôle autonome du fabricant, remarque Marcel Kohler. Il n’existe pas de contrôle similaire à celui imposé pour la vente de médicaments par exemple.» Et l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) n’a pas l’autorité de réguler «mais d’informer la population sur les risques liés à la santé, de donner des recommandations et de fixer des valeurs indicatives sur certains polluants», souligne Roger Waeber, responsable du Service des polluants de l’habitat de l’OFSP.

Les spécialistes regrettent tous le manque d’études épidémiologiques de ces toxiques sur le plan domestique. «La sensibilisation au grand public se fait petit à petit, indique Laurent Nicod. La France a notamment créé un Observatoire de la qualité de l’air intérieur en 2001 et la Convention de Stockholm se charge de répertorier régulièrement les substances à risque. Mais une prévention sûre ne pourra pas se faire avant d’avoir obtenu des données conséquentes sur cette problématique de santé publique qui devient sérieuse.»
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Une version de cet article est parue dans le magazine In Vivo.