KAPITAL

Entreprises de nettoyage: une croissance claire et nette

Aujourd’hui largement externalisé, l’entretien des locaux est devenu un secteur économique à part entière. La branche s’est professionnalisée et fait vivre plus de 500 entreprises et 17’000 employés en Suisse romande.

Le soir, après la fermeture des bureaux, ou alors tôt le matin. Les entreprises de nettoyage doivent s’adapter aux horaires de l’activité économique traditionnelle. «Il s’agit d’un métier de l’ombre, dont on parle peu et qui n’est pas pris très au sérieux, note Pascal Raemy, directeur de l’entreprise genevoise Vitsolnet et président de l’Association genevoise des entrepreneurs en nettoyage et de services (AGENS). Les clients nous aimeraient transparents.» Le nettoyage représente pourtant un marché de poids en Suisse, évalué à deux milliards de francs*. Sur le seul territoire romand, il regroupe environ 550 sociétés et emploie 17’000 personnes, indique la Fédération romande des entrepreneurs en nettoyage (FREN).

La branche a connu une importante progression depuis la fin des années 1980. Historiquement, chaque immeuble possédait son concierge, chaque hôtel son équipe de femmes de chambres et chaque hôpital son service d’entretien. Les entreprises et les institutions publiques géraient le nettoyage de leurs locaux de manière interne. Confrontées à des crises successives, elles ont progressivement externalisé ces tâches pour réaliser des économies et se recentrer sur leur activité principale. La vigueur du secteur de la construction a également contribué à la tendance, mais dans une moindre mesure.

«Nous avons assisté à une multiplication du nombre de sociétés et certaines ont connu un essor spectaculaire, note Pascal Raemy. Leur réussite ne s’est pas forcément réalisée au détriment des autres: le gâteau s’est simplement agrandi. Tout le monde est sorti un peu gagnant.» A Gland (VD), par exemple, la société CTA Services a augmenté ses effectifs de 400 à 1000 personnes en une dizaine d’années. Autre illustration du phénomène: la PME Lilinet, basée dans la commune fribourgeoise de Farvagny, compte plus de 100 salariés après tout juste dix ans d’existence (voir portraits en encadré.)

Les entreprises de nettoyage ont par ailleurs diversifié leurs activités au fil du temps. Nombreuses sont celles qui proposent désormais des «facility services», un ensemble de prestations allant de la gestion technique d’un bâtiment au remplissage des photocopieuses, en passant par la livraison de repas ou encore la préparation de salles de conférences.

Professionnalisation

Les réussites économiques de la branche demeurent peu connues. La conséquence d’un problème d’image? Le nettoyage est en effet souvent associé au travail au noir et aux bas salaires. Pourtant les conditions ont beaucoup évolué, notamment avec la naissance de conventions collectives de travail (CCT) au début des années 2000 et la structuration du secteur par des fédérations d’entreprises. «Les salaires ont connu une amélioration importante, même s’ils restent bas, indique Pierluigi Fedele, membre du comité directeur du syndicat Unia. Quant au travail au noir, la mise en place de systèmes de contrôle a également permis une évolution positive. Aujourd’hui, il n’est pas plus présent dans le nettoyage que dans d’autres branches.»

Le secteur s’est professionnalisé, souligne par ailleurs François Bouyssarie, directeur du centre de formation Maison romande de la propreté. «Les clients ont des exigences en matière d’hygiène et de sécurité. Pour certaines tâches spécialisées, il faut aussi des connaissances techniques pour maîtriser les machines et les équipements.» En plus du CFC d’agent de nettoyage apparu dans les années 1990, de nouveaux diplômes ont vu le jour, notamment une attestation fédérale de formation professionnelle il y a trois ans.

Le nettoyage conserve cependant quelques spécificités: le temps partiel concerne une large majorité des salariés. Selon la FREN, environ 80% d’entre eux travaillent moins de 18 heures par semaine. Cette situation découle notamment du fait que les entreprises interviennent souvent pour quelques heures en dehors des horaires de bureaux. Et le turnover est important. Beaucoup d’employés se tournent vers le nettoyage pour obtenir un revenu supplémentaire, avec un objectif précis, par exemple financer des études ou rembourser un crédit. A noter encore que les travailleurs de la branche sont majoritairement des femmes, pour la plupart d’origine étrangère.

Marges sous pression

Selon les chiffres fournis par l’AGENS, la rémunération horaire minimum a évolué de 9,95 francs en 1982 à 15 francs en 1996, et atteint 18,60 francs en 2015. Or les salaires constituent en moyenne 85% des coûts d’une entreprise de nettoyage. «En parallèle, les prix de vente ont peu augmenté, ce qui a entraîné une forte diminution des marges, indique Pascal Raemy. Pour survivre, les entreprises doivent faire du volume.»

Le processus d’externalisation des tâches d’entretien qui a tant profité se tarit et le marché arrive à saturation. La fin de l’âge d’or pour les PME du nettoyage? Dans un environnement devenu très concurrentiel, la tendance est aujourd’hui à la consolidation. «Les grosses entreprises, notamment alémaniques et étrangères, rachètent les petites PME locales et ce processus va s’accélérer, conclut le directeur de l’AGENS. A moyen terme, nous envisageons l’apparition d’un marché constitué de très gros et de très petits acteurs, dans lequel les entreprises moyennes risquent de ne plus trouver leur place.»

*Chiffre de l’Association des entreprises suisses en nettoyage Allpura.
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PORTRAITS

«Les gens ne veulent plus consacrer leur temps libre aux tâches ménagères»

Avec ses 1000 employés, CTA Services fait partie des grands acteurs du secteur en Suisse romande. Et se tourne de plus en plus vers les particuliers.

Christine Domenig fonde CTA Services en 1987. Elle poursuit ainsi la tradition de sa famille, active dans le domaine du nettoyage depuis de nombreuses années. La société basée à Gland employait 400 personnes il y a une dizaine d’années. Elle a connu une accélération de sa croissance suite à sa démarche de certification ISO dans le management environnemental en 2004 et dans le management de la qualité en 2008. Elle compte aujourd’hui 1000 salariés.

Avec ses succursales à Lausanne, Genève et Fribourg, l’entreprise propose une large gamme d’activités allant de l’entretien classique d’immeuble aux «facility services». «Cette activité est de plus en plus demandée. Les compagnies externalisent les tâches qui ne sont pas propres à leur domaine d’activité», explique Christine Domenig. Face à la concurrence très vive de ce marché – de grands groupes internationaux, mais aussi des particuliers proposant leurs services –, la société a su diversifier son offre. Et les profils des clients évoluent aussi.

«Au début, nous avons principalement travaillé pour des entreprises. Ces dernières années, nous avons pu constater que de plus en plus de particuliers ont recours à nos services. Les gens ne veulent plus sacrifier leur temps libre pour des tâches ménagères.» La directrice mentionne finalement un autre élément essentiel au succès de son entreprise: un personnel stable. «Auprès des particuliers, il est important de garder de bonnes relations humaines basées sur la confiance et le suivi personnalisé.»
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«La propreté contribue à l’image de nos clients»

La jeune société Lilinet s’est spécialisée dans les «facility services», un choix qui lui a valu une impressionnante progression.

Après à peine dix ans d’existence, la société Lilinet compte déjà plus de 100 employés, dont 65 à plein temps, et son chiffre d’affaires continue à croître de 20 à 30% par an. «Avant de me lancer, j’avais analysé le marché et constaté l’immense potentiel des ‘facility services’», raconte le fondateur et directeur Carlos Pires. C’est dans ce créneau de services aux entreprises qu’il s’est spécialisé, en particulier pour les centres commerciaux. «Outre le nettoyage, nous assurons par exemple la gestion des installations techniques, de l’électricité, du système d’alarme, de la sécurité ou encore le traitement du courrier.» Basée à Farvagny, dans le canton de Fribourg, mais active dans toute la Suisse romande, la société propose aussi des services de conciergerie.

Son expansion géographique s’est faite grâce au bouche-à-oreille. «Je suis dans le métier depuis l’âge de 20 ans et j’aime le travail bien fait. La propreté contribue à l’image de nos clients. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à des conditions de marché de plus en plus dures et à une concurrence accrue. Il faut savoir évoluer, par exemple en proposant des nouvelles techniques, en formant le personnel ou en proposant aux clients des concepts de nettoyage personnalisés en fonction de leurs besoins.»
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«Nous nous sommes alliés à un groupe alémanique»

En un peu plus de quinze ans, la PME genevoise Vitsolnet a multiplié son chiffre d’affaires par dix.

Lors de son rachat par Pascal Raemy en 1996, Vitsolnet compte 40 salariés. Depuis, la société de nettoyage «classique», qui assure l’entretien d’entreprises et d’institutions publiques, a décuplé son chiffre d’affaires. Elle emploie 400 personnes, dont 250 à plein temps. Vitsolnet a profité de la forte augmentation de la demande mais aussi d’un développement de sa structure à l’échelle de toute la Suisse romande.

«Les soumissions sur le marché du nettoyage sont de plus en plus souvent nationales, explique Pascal Raemy. Pour y répondre, nous nous sommes alliés au groupe alémanique Enzler en 2003, ce qui nous a donné un gros ‘coup de boost’. Si le contrat est remporté, nous en assurons le volet romand et Enzler la partie alémanique.» Vitsolnet se démarque également par sa spécialisation dans le domaine hôtelier, soit le nettoyage des chambres et des espaces communs.

Maintenir ses marges constitue aujourd’hui le principal défi de la société. «Les salaires augmentent, ce que nous ne pouvons pas répercuter sur les clients. Et avec la fin du taux plancher, certaines entreprises risquent de faire des économies en réduisant, par exemple, le nettoyage de leurs bureaux de cinq à trois fois par semaine. La solution passera par l’amélioration des techniques de travail pour devenir plus rapides et un allègement des structures administratives.»
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«Les régies externalisent de plus en plus»

Face au recul des chantiers dans le Valais, Bonvin Nettoyages mise sur les services de conciergerie.

Roger Bonvin ne veut pas entrer en concurrence avec les grands groupes du secteur. Pour se démarquer, le directeur et fondateur de Bonvin Nettoyages à Sierre mise beaucoup sur la proximité et la relation personnelle avec ses clients. Cela se voit par exemple pendant la période avant Noël, particulièrement chargée pour l’entreprise. Spécialistes en nettoyage de chantiers, Roger Bonvin et son équipe s’assurent que les nouveaux chalets sont prêts et propres à temps pour les fêtes.

«Les clients se montrent toujours très reconnaissants. Mais dans la région nous ressentons énormément les conséquences de l’initiative Franz Weber et la limitation des résidences secondaires. Il y aura moins de chantiers à l’avenir», regrette l’entrepreneur valaisan. En conséquence, Roger Bonvin mise sur les services de conciergerie: «Les régies externalisent de plus en plus l’entretien régulier des immeubles.» Le mot d’ordre est donc la diversification.

Pour assurer ses besoins en main-d’œuvre, l’entreprise forme des apprentis depuis 2008. En ce moment, ils sont six et complètent un effectif de 70 collaborateurs, dont 25 à temps plein. Après 12 ans et une croissance annuelle avoisinant les 10%, Roger Bonvin est entré depuis 2014 dans une période de stabilisation: «La base est très saine aujourd’hui et cela nous permet d’entamer les prochaines années avec sérénité.»

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Collaboration: Robert Gloy

Une version de cet article est parue dans PME Magazine.