LATITUDES

L’odeur enivrante de la sueur

Certains animaux utilisent leur odorat pour communiquer. De plus en plus d’études suggèrent que les humains font de même.

Respirer à pleins poumons le linge sale d’un inconnu ne semble pas être la clé d’un rendez-vous réussi. Pourtant, si l’on en croit de récentes études, c’est une option qu’il serait peut-être judicieux d’envisager, car l’odeur corporelle pourrait bien être un excellent indicateur de compatibilité.

La découverte n’a échappé ni aux vendeurs de «parfums aux phéromones» qui pullulent sur le Web ni aux organisateurs de «pheromone parties». Le principe? Après avoir dormi trois nuits avec le même t-shirt, des célibataires l’emportent à une soirée où d’autres participants le reniflent pour choisir un partenaire, laissant leur nez les guider vers l’amour.

Il est clair depuis longtemps que beaucoup d’espèces de mammifères, comme les rongeurs, se fient à leur odorat pour trouver leur partenaire. L’idée que les humains fassent de même est accueillie avec scepticisme. Pourtant, les preuves montrant que les humains sont sensibles aux effluves corporels s’accumulent. «Je travaille sur les odeurs depuis le début des années 1970 et les changements sont notables, déclare Charles Wysocki, du Monell Chemical Senses Center de Philadelphie. Il y a de plus en plus d’informations sur la manière dont les humains traitent inconsciemment les odeurs.»

Un sens sous-estimé

Qu’il s’agisse de trouver un partenaire, de signaler un danger ou d’identifier une proie, les animaux utilisent les odeurs pour transmettre une myriade d’informations à leurs congénères. Les humains, eux, sous-estiment l’importance de leurs effluves corporels et de l’odorat en général. Une étude récente, menée par l’agence américaine de communication McCann auprès de plus de 7’000 jeunes à travers le monde, a révélé que la moitié préférerait renoncer à ce sens plutôt qu’à son appartenance à un réseau social en ligne. Nos compétences olfactives sont jugées secondaires par rapport à d’autres sens considérés comme plus essentiels à la survie. Et tant qu’elles ne sont pas pestilentielles, les odeurs nous sont souvent indifférentes. De même, nous parvenons bien plus facilement à identifier un son ou une image qu’à mettre un nom sur une fragrance ou à déterminer
sa provenance.

Les phéromones sont des substances chimiques déclenchant une réaction, sociale ou comportementale, chez les autres membres d’une même espèce. L’idée que les humains en sécrètent provient en grande partie des recherches menées il y a une vingtaine d’années par Claus Wedekind, biologiste à l’Université de Berne. A l’origine des «pheromone parties», ses théories se basent sur des expériences dans le cadre desquelles des étudiantes étaient invitées à juger et à classer l’odeur des t-shirts de participants masculins.

En étudiant le complexe majeur d’histocompatibilité (CMH), l’étude a révélé que les femmes préféraient l’odeur des vêtements des hommes ayant un système immunitaire très différent du leur, ce qui est pertinent en termes d’évolution, notamment pour s’adapter au mieux aux menaces qui nous entourent (les agents pathogènes par exemple). Les auteurs ont donc conclu que les humains ont développé une capacité à «flairer» le bon partenaire.

Aujourd’hui, il est évident que la réalité est encore plus complexe. «Les humains tendent à penser qu’ils sont responsables et rationnels, mais en fait, ils sont influencés par les mêmes signaux primitifs que le reste du règne animal, estime Liron Rozenkrantz de l’Institut Weizmann, en Israël. Nos décisions, nos comportements et nos opinions sont influencés par des facteurs dont nous n’avons pas conscience, mais qui ont un effet majeur sur notre humeur, notre équilibre hormonal et notre activité cérébrale.»

Important pour la survie de l’espèce

Les études sur la peur sont à l’origine des preuves les plus convaincantes. Les chercheurs de l’Université de Kiel, en Allemagne, ont ainsi démontré que l’odeur de la sueur prélevée sur des étudiants attendant anxieusement les résultats de leurs examens pouvait avoir un impact sur d’autres étudiants, alors que la transpiration dégagée pendant une activité sportive n’en avait aucun. Ces éléments ont conduit les auteurs à déclarer que, chez les humains comme chez les animaux, la capacité à détecter «l’odeur des phéromones d’alerte présente probablement des avantages en termes d’évolution».

Ce principe a été confirmé en 2008 par Lilianne Mujica-Parodi, de la Stony Brook University de New York, qui travaille sur l’aspect neuronal du stress. Les rats sont connus pour être sensibles à l’odeur de la peur de leurs congénères lorsqu’ils sont, par exemple, mis en présence d’un prédateur. Afin de tester cette hypothèse sur des humains, l’équipe de Lilianne Mujica-Parodi a récolté la sueur de volontaires pendant un saut en parachute, situation stressante par excellence, et celle produite lors d’un exercice physique sur un tapis de course. Quand d’autres volontaires ont été soumis aux premiers échantillons dans une IRM fonctionnelle, les chercheurs ont constaté une activation de l’amygdale, la région du cerveau impliquée dans les émotions. Les seconds échantillons n’avaient pas cet effet. Ces scientifiques ont également noté que les volontaires étaient plus sensibles à des photos de visages menaçants qu’à des visages neutres après avoir senti l’odeur de la sueur produite lors du saut, alors qu’ils réagissaient de la même manière aux deux séries après avoir respiré la transpiration produite lors d’un exercice physique.

«Lorsque les gens sont anxieux ou inquiets, leur odeur corporelle change et transmet des informations à leur entourage», conclut Charles Wysocki. Notons que les volontaires n’étaient pas consciemment capables de faire la différence entre les deux échantillons. «Même si c’est au niveau subconscient, l’activité cérébrale est modifiée. L’odeur de la peur rend les gens plus vigilants.»

Vallée de larmes

Mais la transpiration n’est pas le seul fluide corporel à transmettre des informations. En 2011, Noam Sobel, de l’Institut Weizmann, a demandé à des femmes de regarder des films tristes, et a récolté leurs larmes. Comme échantillon témoin, il a utilisé une solution saline qu’il avait fait couler sur leur visage. Bien qu’ils n’aient pas été capables de faire la différence entre l’odeur des larmes et celle de la solution saline de manière consciente, les hommes ont été touchés par des composants présents dans les larmes.

Ainsi, ils ont trouvé ces femmes moins attirantes après avoir respiré les vraies larmes qu’après avoir senti la solution témoin, et les chercheurs se sont aperçus que le fait de sentir les cotons imprégnés de larmes faisait baisser leur niveau de testostérone. Enfin, ils leur ont demandé de regarder des films à connotation sexuelle. Résultat: leur excitation était réduite une fois qu’ils avaient respiré les cotons imbibés de larmes.

Même s’il est possible que cela aie d’autres rôles, le fait qu’une femme puisse calmer les ardeurs d’un homme en pleurant représente un avantage évolutif, selon Liron Rozenkrantz. Cela pourrait, par exemple, expliquer pourquoi les femmes ont tendance à pleurer plus souvent lorsqu’elles ont leurs règles. «Lors de cette phase du cycle, les rapports sexuels ne peuvent pas entraîner de grossesse. Limiter l’excitation sexuelle du partenaire peut être préférable du point de vue de l’évolution», souligne-t-elle. Un niveau de testostérone plus bas rend les hommes moins agressifs: pleurer serait donc un moyen efficace de se protéger. L’hypothèse doit encore être validée, mais cela pourrait aussi être le cas chez les nourrissons, qui constituent l’écrasante majorité des individus qui communiquent leurs émotions en pleurant. «Si les larmes des enfants ont le même effet que celles des femmes, il peut s’agir d’un mécanisme de défense visant à réduire l’agressivité des adultes qui les entourent», poursuit-elle.

Succès mitigé

Beaucoup aimeraient croire que les humains produisent des phéromones pour attirer l’élu de leur cœur. «De nombreux sites internet vendent la recette miracle à appliquer sur le corps ou à ajouter au parfum, note Charles Wysocki. Certains pensent qu’en s’en enduisant avant de sortir, ils sont sûrs de faire des rencontres.» Ces phéromones dites «libératrices» (voir encadré, p. 29) ont été identifiées il y a plus d’un demi-siècle grâce au comportement des mites: lorsqu’un mâle est sous l’influence de la substance chimique sécrétée par une femelle, il est prêt à tout pour la rejoindre. Mais l’idée que la même chose existe chez les humains fait encore l’objet de débats. «Il n’existe aucune preuve biomédicale incontestable», souligne Charles Wysocki.

Si les humains utilisent les odeurs pour transmettre des informations, pourquoi faire autant d’efforts pour les masquer? Selon Charles Wysocki, l’efficacité des substances utilisées dans les déodorants est en réalité assez limitée. Son laboratoire en a étudié plus de 50. «Environ un tiers d’entre elles réussissent effectivement à réduire l’impact de l’odeur corporelle masculine sur les personnes du même sexe», explique-t-il. Mais auprès des femmes, leur efficacité est absolument nulle.

Faudrait-il en conclure que les déodorants sont bons pour la poubelle? Probablement pas. Mais la prochaine fois que vous aurez un rendez-vous galant, n’oubliez pas que vos émotions, votre comportement et vos impressions seront influencés par des signaux olfactifs dont vous n’avez pas conscience.
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ENCADRES

Faits divers olfactifs

Fringale
Les fringales associées à la consommation de marijuana sont scientifiquement prouvées: un récepteur cannabinoïde situé dans le cerveau stimule l’odorat qui accroît la sensation de faim.

Mauvaise haleine
Dans 85% des cas, ce phénomène est dû aux germes présents dans la bouche à cause d’un manque d’hygiène. D’autres causes incluent l’inflammation des voies respiratoires ou des maladies de l’estomac.

Odeur de la mort
Une étude américaine révèle un lien entre la perte d’odorat et un risque de décès multiplié par trois dans les cinq ans.

Les femmes ont un meilleur odorat
D’après une étude de 2014, les femmes détectent mieux les odeurs que les hommes tout au long de leur vie et en particulier à l’âge de 15 ans.

33%
Un tiers des 400 récepteurs situés dans les membranes des neurones olfactifs (dans le nez) varient d’une personne à l’autre, ce qui pourrait expliquer pourquoi nous apprécions des odeurs différentes.

Inconnu
Le nombre d’odeurs qu’un humain peut distinguer est incertain. Une étude citée par Technologist (juillet 2014) faisait état de «plus de 1’000 milliards» d’odeurs, mais sa méthodologie a depuis été critiquée. D’autres chercheurs ont constaté que les humains étaient capables de distinguer de nombreuses odeurs, mais qu’il leur était très difficile de les identifier.
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Collaboration: Line Emilie Fedders

Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist.