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Improbable, l’adjectif tendance

Dans les conversations et les médias, le mot «improbable» est utilisé à tout propos. D’où vient cet engouement?

De retour de vacances, Olivier rapporte à ses collègues: «Imaginez un peu! Je me suis retrouvé dans une situation complètement improbable: mon ex-partenaire de tennis logeait dans le même hôtel que moi!» L’an dernier encore, Olivier aurait certainement parlé d’une «coïncidence incroyable», d’un «hasard fou» ou d’un «concours de circonstances inouï». Mais nous sommes en 2015 et ces expressions ont pris un coup de vieux. L’adjectif «improbable» est tellement plus tendance.

Improbable signifie «qui manque de vraisemblance, qui a peu de chances de se produire». Or, depuis peu, cet adjectif semble être en mesure de remplacer une foule d’autres adjectifs comme inattendu, bizarre, mystérieux, imprévu, aléatoire, fortuit, accidentel, ou des mots tels que coïncidence, hasard, chance, malchance, fortune.

Vous allumez la radio: «rencontre improbable de deux politiciens», «une improbable chute de neige en plaine». Vous regardez la télévision: «improbable victoire du plus jeune des candidats à ce jeu», «moment de partage avec l’auteur d’un succès improbable en librairie», «défaite improbable de cette personnalité dans son département». Vous ouvrez le journal: «suite de l’enquête sur l’improbable disparition du vol MH370», «les vêtements improbables de Kim Kardashian», «l’improbable chute de Cancellara».

S’il est un roi de l’improbable, c’est le footballeur Zlatan Ibrahimovic. Dans les journaux, son look est qualifié d’improbable, il marque des buts improbables, fait des passes et des têtes improbables, son affinité avec Alpha Blondy est improbable. Tout ce qui qualifie la star du PSG est systématiquement improbable. Les journalistes sportifs sont d’ailleurs les champions de l’usage de ce terme aux acceptions de plus en plus nombreuses. Quelles que soient les disciplines qu’ils couvrent, du golf au ski, tous les faits et gestes sont devenus improbables.

Leurs confrères de la presse people les talonnent au palmarès. Les rencontres, les amitiés, les mariages, les tenues, les come-back, même les animaux de compagnie des célébrités sont improbables. Cet adjectif passe-partout est devenu un oreiller de paresse en anglais et en espagnol également.

L’explication de cette prolifération relève peut-être moins de la fainéantise que d’un effet de surprise ou de désarroi de la part de ses usagers. Dans une société où règne une logique hégémonique de quantification, les projections et prévisions diverses ne permettent-elles pas d’anticiper toute chose? Tout ce qui se manifeste en dehors de celles-ci suscite dès lors un étonnement.

Comment, on n’avait pas vu venir? Faire appel alors, pour le traduire, aux notions devenues obsolètes de coïncidence, de chance ou de malchance consisterait à renvoyer à une époque où les dieux jouaient aux dés et à faire abstraction de la conquête du hasard et de l’imprévisible grâce au calcul des probabilités. Une discipline qui s’attaque au problème de l’occurrence d’un événement aléatoire.

Aujourd’hui, dans la vie quotidienne, nous sommes entourés d’informations sur les possibilités qu’a un événement de se produire. Alliées au big data, les probabilités constituent un support devenu indispensable à la prise de décisions dans tous les domaines.

Quelle formidable évolution que le passage de la croyance selon laquelle seuls les dieux connaissent l’avenir à la quantification des probabilités de réalisation des événements!

Grâce aux joueurs désireux de connaître leur chance de gain, les mathématiciens Pascal et Fermat ont initié un processus non achevé de conquête du hasard. C’est une avancée récente, la plupart des résultats en probabilité n’ont qu’un siècle à peine.

«Pour comprendre le monde, nous devons nous former à la maîtrise du hasard, l’un des derniers territoires à conquérir, lui qui provoque tant de désarroi dans une société fondée sur la certitude et la sécurité», relèvent Fernando Corbalan et Gerardo Sanz, les auteurs de «La conquête du hasard» (Encyclopédie «Le monde est mathématiques», tome 21, 2015).

Dans pareil contexte, il devenait dès lors hautement probable que l’improbable connaisse le sort observé en ce moment.