TECHNOPHILE

Psychose autour des antennes

Les Suisses sont emballés par le téléphone mobile mais ne veulent pas de pylône dans leur jardin.

Le long des voies de chemin de fer et des autoroutes suisses, je m’amuse souvent à repérer les antennes de téléphonie mobile. Elles ont poussé comme des champignons depuis que les opérateurs Diax et Orange ont obtenu une concession et développent leur réseau.

Les nouveaux opérateurs ont de plus en plus de peine à obtenir les permis de construire nécessaires à l’installation des antennes. Orange a reconnu que son retard sur le marché était en partie dû à la difficulté de trouver des emplacements pour monter de nouveaux mâts. «Depuis quelques semaines, presque chaque demande d’installation d’une antenne fait l’objet d’une opposition des habitants à proximité, me disait mercredi Jürg Baumann, adjoint scientifique à l’Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage. A croire qu’il s’est développé une forte inquiétude du smog électrique dans la population.»

Le smog électrique désigne le brouillard électromagnétique dégagé par les antennes, les lignes à haute tension, mais aussi les appareils comme les écrans d’ordinateur ou les téléphones portables. Son impact sur l’homme dépend de la puissance du courant transporté (calculée en Watt), de sa fréquence (en Hertz) et de la distance de la source. Selon la loi physique, l’intensité du rayonnement diminue au carré de la distance. Autrement dit, à deux mètres de la source, il est quatre fois moins fort qu’à un mètre.

L’effet néfaste du smog électrique sur l’homme n’a été démontré que pour des expositions prolongées à des rayonnements intenses, par exemple à côté d’un émetteur. Les lignes à haute tension (basse fréquence) induisent des courants électriques dans le corps. Les antennes de télévision (haute fréquence) provoque l’échauffement des tissus, un peu comme un four à micro-ondes. Dans les deux cas, les conséquences sont des augmentations du risque de développer un cancer. La réglementation en vigueur en Europe et en Suisse protège la population contre ces radiations: émetteurs et lignes à haute tension sont installés loin des zones habitables.

Les antennes de téléphonie mobile utilisent des hautes fréquences (900 ou 1800 MHz) et sont peu puissantes (entre 50 et 700 Watts). Les conséquences de l’exposition à ce type de rayonnements de faible intensité divisent les scientifiques. L’Organisation mondiale pour la santé (OMS) prend ce problème au sérieux et a mis sur pied un projet international d’étude (accessible sur http://www.who.ch/emf).

Voici ce que dit l’introduction de ce projet, baptisé CEM: «On a suggéré que l’exposition aux champs électromagnétiques est responsable du cancer, des modifications du comportement, des pertes de mémoire, des maladies de Parkinson et d’Alzheimer et même de l’augmentation du taux de suicide. Il s’agit de vérifier scientifiquement ces effets.» L’OMS se donne jusqu’en 2005 pour conclure.

En Suisse, on a décidé d’agir sans attendre les conclusions de cette étude. Une ordonnance fédérale interdit l’installation des émetteurs de téléphonie mobile à moins de 45 mètres des zones habitées. Certaines antennes à très basse puissance font exception, notamment lorsque les émissions sont dirigées dans une direction opposée au bâtiment, comme les cellules que l’on voit le long des façades ou sur certains toits. Cette ordonnance sera soumise prochainement au conseiller fédéral Moritz Leuenberger. Jusqu’au 15 mai, les différents groupes d’intérêts (usagers, écologistes, opérateurs) peuvent soumettre leurs propositions d’adaptations.

De manière préventive, cette ordonnance, parmi les plus sévères du monde, est déjà appliquée depuis six mois, soit peu après l’octroi en avril 1998 des licences de téléphonie mobile aux opérateurs privés. Chez Diax, même si cette attitude peut porter préjudice à l’image de l’entreprise, on affirme que l’on demandera «vraisemblablement» un assouplissement de la législation.

Orange fera certainement de même, si ce n’est déjà le cas. Mais peut-être pas Swisscom. Car l’ancien monopole, qui développe son réseau mobile depuis plusieurs années, a pu installer la plupart de ses antennes bien avant la mise en application de l’ordonnance fédérale. Cela lui donne un avantage considérable sur ses concurrents: il a pu placer impunément ses émetteurs dans les endroits habités, c’est-à-dire les plus performants pour la téléphonie mobile. Si Moritz Leuenberger veut soutenir l’ancien monopole, il sait ce qu’il lui reste à faire.