KAPITAL

Une nouvelle voiture en quelques clics

Poussés par la digitalisation des habitudes de consommation, les constructeurs révolutionnent leurs canaux de vente. L’avenir se dessine entre e-commerce et showroom ultramodernes.

La nouvelle arcade chic du constructeur allemand Mercedes, située dans un bâtiment historique du centre de Hambourg, se nomme «Mercedes Me». Les visiteurs peuvent y acheter l’un des modèles de la marque. Mais la plupart d’entre eux s’y retrouvent pour boire un cocktail entre collègues, assister à un concert ou à une rencontre de slam. Par la suite, ils commanderont peut-être une voiture via le site de vente en ligne de Mercedes, avec accompagnement personnalisé et livraison du produit à domicile.

Le concept lancé par le fabricant allemand en 2014 illustre une tendance de fond qui bouleverse l’industrie automobile. Avec l’avènement d’internet et des nouvelles technologies digitales, la manière dont les consommateurs choisissent et acquièrent une nouvelle voiture change de façon radicale. «La plupart des acheteurs étudient désormais toutes les options à disposition sur internet et arrivent chez le concessionnaire avec une idée très précise de ce qu’ils veulent, indique Julia Saini, vice-présidente du département Automobile et Transport du cabinet de conseil Frost & Sullivan. Il y a dix ans, l’achat d’une voiture engendrait en moyenne 12 visites chez différents revendeurs. Aujourd’hui, ce nombre est tombé à 1,7.» Pour les jeunes consommateurs, la nécessité de se rendre chez un concessionnaire représente même un obstacle. «70% des 18-29 ans affirment qu’une telle démarche les intimide. Certains la comparent même à un rendez-vous chez le dentiste, poursuit Sven Siepen, partenaire du cabinet de conseil Roland Berger Strategy. Les canaux de vente classiques ne sont plus appropriés.»

Surtout en Asie

Commandera-t-on bientôt une nouvelle voiture sur internet avec la même aisance que s’il s’agissait d’un livre ou d’un appareil électronique? Le constructeur californien Tesla a déjà opté pour un modèle entièrement digital: le client configure et achète le produit directement sur le site de la marque. D’ici à 2020, 4% des automobiles neuves, soit environ 4,5 millions d’unités, seront acquises en ligne, estime Frost & Sullivan. «Tous les acteurs de la branche réfléchissent au meilleur moyen de s’adapter à cette nouvelle ère», confirme Alex Koster, associé du cabinet de conseil Strategy& Suisse. Les leaders de la tendance se trouvent parmi les marques premium, comme Audi, Mercedes ou encore BMW. Le phénomène se développe aux Etats-Unis et en Europe. Mais c’est en Asie, notamment en Chine où le e-commerce est très ancré, qu’il est le plus marqué.

Le tout online, à l’image de ce que propose Tesla, reste pour l’heure marginal. Pour les spécialistes, une voiture demeure un achat important, avec une forte composante émotionnelle, qui nécessite un contact physique. Le futur de la branche repose donc sur une approche «multicanale». Parmi les exemples les plus innovants, Audi a ouvert en 2012 un showroom digital en plein centre de Londres. La marque allemande y présente ses modèles à l’aide de tables tactiles et de deux écrans géants. Les visiteurs peuvent ainsi choisir les combinaisons qui les intéressent et les visualiser de manière virtuelle. Les marques misent également sur les espaces «lifestyle», à l’image de celui de Mercedes à Hambourg, où le visiteur peut dîner ou écouter de la musique, ou sur l’installation de pop-up stores (magasins éphémères) lors de grands événements qui attirent les foules. Autre tendance: l’apparition d’agents mobiles, dont le rôle consiste à amener au client la voiture qu’il a identifiée sur internet et qu’il souhaite tester.

La fin des concessionnaires?

«Le modèle traditionnel reposait sur trois acteurs: le constructeur, le vendeur et le consommateur, explique Alex Koster, de Strategy& Suisse. Dans le nouvel environnement, le constructeur est en relation directe avec le consommateur.» Cela est d’autant plus vrai avec les véhicules connectés, qui permettent aux fabricants d’instaurer une relation continue avec le client, en lui fournissant des services ou des informations via smartphone.

Les revendeurs et leurs coûteux espaces d’exposition, qui regroupent en général entre 10 et 15 véhicules, se profilent comme les grands perdants de la tendance. «Nous allons assister à un déclin du nombre de points de vente», prédit Sven Siepen, de Roland Berger. Julia Saini, de Frost & Sullivan, se montre plus optimiste. «Leur structure devra changer, avec des surfaces réduites, des arcades qui ne rassemblent plus forcément exposition et service, et l’intégration d’éléments digitaux et interactifs. A l’avenir, les vendeurs endosseront davantage un rôle de consultants.»
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine.