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La Suisse, cette poudrière

Les manoeuvres électorales d’Eric Stauffer, la menace djihadiste, la révolte des détenus, des milliers d’armes dans la nature: nous vivons dans un pays plus explosif qu’il n’y paraît.

Imaginons, rien qu’un instant, le maire d’une commune qui part en campagne pour une réélection désespérée sous le slogan «On meurt les armes à la main». Envoie une lettre à un franc pièce à chacun des 13’000 votants concernés, après avoir dûment acheté, comme il en le a droit, la liste électorale auprès du Canton. Tout cela pour promettre des monts et des merveilles qui ne sont pas en son pouvoir: obliger la Poste à reprendre la distribution des colis dans les étages, rendre les parkings gratuits – privilège cantonal et non communal. Et se voir ensuite reprocher par une adversaire de gauche l’usage de ce droit d’écrire aux administrés, qui ne serait prévu que «pour informer et non pour mentir».

On pourrait tirer des mésaventures d’Eric Stauffer à Onex une conclusion en forme de grande porte ouverte allégrement enfoncée: que la droite est prête à dépenser sans compter pour vendre moins que des salades et que la gauche est toujours habitée par cette mystérieuse science infuse qui lui permet sans jamais se tromper de distinguer le bien du mal, le vrai du faux.

Imaginons, toujours rien qu’un instant, un pays où comme le rappelle une parlementaire zurichoise et néanmoins de gauche, «chaque vache, chaque voiture, chaque chien ou chaque livre de bibliothèque est enregistré». Mais où en revanche sur les quelques deux millions d’armes estimées en circulation, aux mains de particuliers pas toujours tous maîtres de toutes leurs émotions, comme en témoignent une série constante de faits divers, seules 750’000 seraient déclarées. Où, enfin, un Conseil dit national, contre l’avis du gouvernement, juge que cela doit continuer ainsi, le danger principal menaçant le beau pays étant plutôt celui de créer «un monstre bureaucratique». Le kamikaze Stauffer pourra donc tranquillement mettre son projet à exécution: mourir les armes à la main.

On en déduira que chacun est bien libre d’imaginer les monstres qu’il veut, et qui souvent lui ressemblent. Que pour le chef des armées, Ueli Maurer, et les services secrets afférents, c’est désormais la menace djihadiste: «Le danger peut survenir à tout moment, explique le ministre UDC. Nous ne savons pas exactement combien de sympathisants dormants se cachent en Suisse.»

Des «dormants-que-d’un-œil» dont il ne paraît pas très saugrenu d’imaginer qu’ils pourraient, pour certains, détenir quelques-unes des centaines de milliers d’armes non déclarées et dont on souhaite qu’elles le restent. Si ce n’est grave docteur, ça y ressemble quand même un peu.

Imaginons enfin un pays, toujours le même, dont le Tribunal fédéral est suffisamment désoeuvré pour statuer sur une question aussi urgente, décisive et poignante que le droit ou non pour les administrations pénitentiaires de fouiller les détenus revenant d’une visite au parloir. Une pratique qui sent évidemment à plein nez son odieuse et brutale violation des droits de l’homme.

Il faut dire qu’un malheureux, qui a dû subir 38 fois l’humiliation de ce type de fouilles, s’est plaint. Ce qui suppose quand même qu’il ait reçu au moins 38 fois des visites, et donc en dit long à la fois sur l’étendue de sa peine, partant la gravité de son délit, mais aussi la richesse de sa vie sociale ainsi que le beau fixe de sa popularité.

Le TF a finalement décidé que non, cela n’était pas de l’abus. Que oui, les matons étaient dans leur bon droit en faisant les poches, et certes un peu plus, des détenus rentrant du parloir. Des fois que les bonnes âmes apeurées purgeant leur peine dissimuleraient une de ces fameuses armes clandestines mais tout à fait légales?