KAPITAL

Hybrides, électriques: la guerre des standards

Face aux contraintes environnementales, les grandes marques de voitures multiplient les modèles réputés propres. Tour d’horizon des différentes technologies.

Dans l’automobile, la révolution verte a du retard. «Il y a vingt ans, beaucoup pariaient sur le développement rapide de la propulsion électrique, observe Bernard Jullien, directeur du groupement d’experts Gerpisa. En réalité, la plupart des constructeurs ont longtemps préféré l’amélioration des moteurs thermiques au développement d’autres types de propulsion.» Et déployé des efforts considérables pour convaincre les autorités de régulation qu’il ne saurait être question d’aller plus vite, sous peine de mettre le secteur tout entier en difficulté.

Il serait pourtant injuste de reprocher aux constructeurs de ne pas s’engager sur une voie plus verte. Tous proposent aujourd’hui une gamme plus ou moins large de véhicules propres, au point que les consommateurs peinent à choisir entre les différentes technologies existantes. «L’électrification croissante des véhicules est un acquis; toute la question est de savoir jusqu’où aller, entre le choix du 100% électrique ou des modèles moins ambitieux» explique David Bailey, professeur de stratégies industrielles à l’Aston Business School.

Première solution, le tout-électrique. Portée par des marques comme le groupe Renault-Nissan avec la Zoé et la Leaf, cette technologie marque le pas: seules 200’000 voitures électriques ont été immatriculées dans le monde en 2012 pour un marché global de 87 millions de véhicules. De quoi expliquer que d’autres privilégient des degrés d’électrification moindres comme sur la Prius, dont les versions successives font le bonheur de Toyota depuis 1997. Leurs moteurs électriques secondent des moteurs thermiques, réduisant ainsi la consommation et les rejets polluants. Le moteur électrique peut assumer seul la propulsion à basse vitesse et sur de courtes distances (donc principalement en ville), avant que le moteur thermique ne prenne le relais. La batterie se recharge grâce au moteur thermique et par l’énergie cinétique récupérée.

Récemment, une nouvelle étape a été franchie. Dès l’année 2011 sont en effet apparus des modèles dit Plug-in Hybrid (ou hybride rechargeables), capables de se recharger sur le réseau électrique domestique. La Toyota Prius Plug-In Hybrid, la Chevrolet Volt ou encore l’Opel Ampera permettent ainsi de rouler jusqu’à 60 km par jour sans carburant.

Troisième grande solution, les voitures à hydrogène ne sont en réalité qu’un nouvel avatar des modèles 100% électriques, à ceci près qu’ils ne sont pas dotés de batteries mais d’une pile alimentée par de l’hydrogène stocké à haute pression. La voiture verte par excellence, puisque le processus ne rejette en théorie que de la vapeur d’eau. Le hic? L’obligation de se rendre dans une station équipée pour s’alimenter en hydrogène. Pas toujours facile: il n’en existe que cinq en Suisse. Rien d’étonnant si l’offre est encore limitée. Hyundai, qui commercialise un SUV, le ix35 Fuel Cell, ne sera concurrencé à court terme que par Toyota, dont le Mira est annoncé pour 2015.

De son côté, le gaz naturel pour véhicule (abrégé en GNV) constitue bien une alternative au pétrole, mais dégage seulement 25% de CO2 de moins qu’un moteur classique et semble encore réservé au transport public, davantage en mesure de les connecter aux compresseurs qui les approvisionnent que les particuliers.

Le grand défi de l’autonomie

Que manque-t-il aux voitures vertes pour convaincre? Curieusement, le premier frein est d’ordre psychologique: «Les premiers modèles 100% électriques n’étaient pas très sexy, sourit David Bailey. On les considérait comme des voitures lentes, peu nerveuses…» Une image qui change, notamment grâce aux séduisants modèles développés par Tesla: «Techniquement, leurs voitures n’ont rien à envier aux véhicules thermiques en termes de performances, voire d’autonomie: la berline modèle S peut parcourir jusqu’à 400 km et se recharge à 80% en vingt minutes (à l’aide d’un chargeur spécifique, ndlr).» Une excellence réservée aux early adopters les plus aisés: comptez plus de 100’000 francs pour la Tesla S la plus haut de gamme.

Au-delà du prix, l’autonomie reste en pratique la principale faiblesse de la majorité des modèles tout électriques face aux hybrides, accusées pour leur part de faire dans le «green washing» et d’être finalement peu avantageuses sur le plan environnemental. «Le consommateur est rationnel, analyse Bernard Jullien. Pourquoi acheter une Nissan Leaf 100% électrique, dont l’autonomie plafonne à 150 km, alors que des modèles dotés de batteries plus performantes apparaîtront dans les 5 ans?»

Au faible rayon d’action des voitures électriques s’ajoute la question des réseaux de recharge encore trop restreint. En Suisse, la création de 150 points de charge suffirait pourtant à alimenter 10% du parc automobile, soit 400 000 voitures électriques. Les pouvoirs publics peuvent compter sur les constructeurs, les distributeurs et les compagnies d’électricité: Tesla sponsorise déjà des points de charge en Amérique du Nord et en Europe, notamment en Suisse, et compte bien s’attaquer à la Chine, marché déterminant pour l’avenir de l’électrique.

Avantage aux modèles hybrides

A court terme, le match entre voitures électriques et modèles hybrides semble tourner à l’avantage des seconds, d’autant que le contexte économique global les favorise: «La baisse des prix à la pompe rend moins attractives les voitures propres; les véhicules entièrement électriques souffrent particulièrement», confirme David Bailey.

A long terme, la part des voitures 100% vertes est pourtant bien destinée à progresser sous la pression des Etats, estime Bernard Jullien: parkings gratuits, TVA remboursée, gratuité des péages, couloirs de circulation réservés… Autant de carottes assorties d’un bâton: le durcissement des contraintes environnementales. «L’UE exige des constructeurs qu’ils descendent sous les 95 g/km de CO2 d’ici à 2020. C’est impossible avec un moteur entièrement thermique», juge Marc Charlet, directeur adjoint de Mov’eo, un pôle de compétitivité français dédié aux mobilités futures.

Face à cette contrainte, les constructeurs se décident à coopérer pour réduire des coûts de R&D prohibitifs: Renault-Nissan, qui a investi lourdement dans le tout-électrique, a ainsi économisé 2,7 milliards d’euros en 2012, soit 20 fois les profits de Renault cette même année… Et le groupe franco-japonais multiplie les partenariats avec Daimler, lequel a largement amélioré les performances de ses moteurs classiques. De leur côté, Tesla et BMW travaillent de concert sur les propulsions 100% électriques.

Hybride, électrique ou thermique, le match est loin d’être joué – et n’aura peut-être pas de vainqueur. «Il est probable qu’aucune technologie ne remplacera les autres», estime David Bailey, qui parie sur la cohabitation des différentes solutions. «Le décollage est difficile, mais la voiture propre devrait occuper 25% du secteur vers 2025», conclut Bernard Jullien.
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no1, 2015).