KAPITAL

Les marques automobiles se marient

De plus en plus de fabricants de voitures créent des alliances. Une manière de réaliser des économies d’échelle et de développer de nouveaux véhicules à moindre coût.

Le chiffre est vertigineux. En janvier 2014, le groupe Renault-Nissan a annoncé vouloir économiser 4,3 milliards d’euros d’ici à 2016 en intensifiant la collaboration entre ses deux marques phares. Une somme qui équivaut à près de 12 fois les profits réalisés par Renault en 2013 et six fois ceux de Nissan. Une performance rendue possible par l’alliance que les deux firmes ont passée.

Cette joint-venture entre les deux fabricants de voitures, conclue en 1999, ne fait de loin pas exception dans le monde de l’automobile. Aujourd’hui, chacun des 24 grands constructeurs a réalisé au moins une joint-venture pour concevoir ses produits. «C’est devenu la norme au sein de l’industrie si une firme souhaite rester compétitive», explique David Bailey, professeur spécialiste du sujet auprès de l’Aston Business School. Parmi les alliances qui ont connu le plus de succès, il faut relever la collaboration de BMW avec PSA Peugeot pour le développement des moteurs appelés «Prince», des quatre cylindres 1,4 l et 1,6 l (implémentés principalement dans les Mini Cooper et Peugeot 207) qui ont remporté à plusieurs reprises le prix international de meilleurs moteurs.

Ces unions font sens. Les constructeurs automobiles cherchent à réaliser des économies d’échelle, en utilisant les mêmes plateformes et composants sur différents modèles de voitures. Mais l’avantage principal réside dans la création de nouveaux produits. «Les coûts de recherche et de développement sont divisés par deux, explique Arndt Ellinghorst, analyste automobile pour Evercore. Et une firme peut apprendre énormément d’une autre.» Développer un moteur pour un nouveau modèle de voiture peut en effet coûter jusqu’à 6 milliards de dollars, selon John Wolkonowicz, analyste automobile pour IHS Global. Ouvrir une nouvelle usine coûte environ un milliard de dollars. Cette volonté d’économiser a été accélérée par la crise économique de 2008. Les marges de profit se sont amoindries et les marchés de vente traditionnels, notamment l’Europe, se sont asséchés. De surcroît, les constructeurs ont dû intégrer de nouvelles technologies: «Les gouvernements imposent des normes de plus en plus strictes en matière environnementale et sécuritaire, ce qui rend le développement de nouvelles voitures plus compliqué, et donc plus coûteux», explique David Bailey.

L’augmentation du nombre de joint-ventures s’explique aussi par un autre phénomène: la conquête de la Chine, le marché où se vendent le plus d’automobiles. «Le gouvernement oblige les constructeurs de voitures étrangers à s’allier à un fabricant local pour vendre des véhicules, explique Janet Lewis, analyste chez Macquarie. Cela a permis aux entreprises chinoises d’accéder à moindre coût aux brevets des géants de l’automobile, donnant lieu à des mariages heureux, comme l’alliance entre Brilliance et BMW, considérée comme la plus performante par les spécialistes. Les deux marques viennent d’ailleurs d’annoncer la reconduction de leur partenariat jusqu’en 2028. Renault et Jeep, qui ont eux aussi trouvé des partenaires locaux, vont commencer à construire des automobiles dans la région à partir de 2016.

Mais ces joint-ventures comportent aussi des risques: «Une alliance implique que votre concurrent va avoir accès à presque tout votre savoir-faire et à vos patentes; il va connaître en détail votre stratégie», souligne Arndt Ellinghorst de la société Evercore. «Et si l’un des constructeurs souhaite casser le partenariat, cela peut lui coûter très cher, ajoute David Bailey de l’Aston Business School. Il devra en effet dédommager son ex-partenaire.» En 2005, GM avait décidé de renoncer à son alliance avec Fiat. Coût de la facture: 2 milliards de dollars.

Quel sera le visage de l’industrie automobile d’ici à dix ans? «L’industrie va opérer une consolidation assez conséquente, estime David Bailey. Seuls les grands constructeurs, comme Toyota, ou les tout petits, comme Aston Martin, vont réussir à survivre. Les firmes de taille moyenne ne pourront pas survivre sans passer d’alliances.»

Les fabricants de véhicules vont également partir à la recherche de partenaires qui ne sont pas issus du monde de l’automobile. «Les voitures contiennent de plus en plus de composantes informatiques, comme des écrans tactiles, indique David Bailey. Certains constructeurs veulent désormais créer des véhicules entièrement automatisés. Les fabricants vont passer de plus en plus de partenariats avec des sociétés informatiques.» Dans ce registre, BMW a annoncé un accord avec le fabricant de voitures électriques ultra-sophistiquées Tesla. De son côté, Nissan a commencé à travailler avec la NASA.

De par sa taille, Volkswagen parvient de son côté à créer des synergies internes très efficaces entre ses 12 différentes marques (VW, Audi, Seat, Skoda, Bentley, Lamborghini, Ducati, Porsche, Bugatti, MAN, Scania et VW Commercial). Mais pas de n’importe quelle façon. Les franchises exploitent les mêmes sites de production et partagent certains composants pour les voitures mais Volkswagen les fait astucieusement entrer en compétition à l’intérieur même du groupe. «Chacune des marques est gérée comme un groupe indépendant», relève Arndt Ellinghorst. Une stratégie qui fonctionne: avec 16 milliards de dollars de profit en 2013, Volkswagen est devenue la compagnie automobile la plus rentable, loin devant Toyota ou GM.
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no1/2015).