LATITUDES

La science de la longévité

En deux siècles, l’espérance de vie a doublé dans les pays développés. Et elle augmente encore de deux ou trois ans par décennie. Comment expliquer cette évolution? Zoom sur le processus du vieillissement.

Pendant des millénaires, l’espèce humaine avait une espérance de vie moyenne de 40 ans. Une simple question d’évolution: il faut vingt ans pour qu’un être humain soit prêt à se reproduire, puis vingt ans de plus pour que sa descendance puisse perpétuer le cycle.

Rudi Westendorp est professeur de médecine gériatrique à l’Université de Copenhague. Il explique: «Biologiquement, nous sommes programmés pour vivre au minimum ces 40 années. Si nous n’avions pas réussi à vivre aussi longtemps, l’espèce humaine se serait éteinte.» Au cours des deux derniers siècles, de nombreux facteurs ont participé à l’allongement de notre espérance de vie. «Les systèmes de traitement des eaux usées se sont améliorés, freinant les épidémies. L’eau potable est devenue plus propre; avec la Révolution industrielle, les gens ont vu leurs revenus augmenter et ont eu accès à une meilleure nourriture et à de meilleurs logements; les vaccins ont permis de limiter la mortalité chez les enfants; les sociétés organisant mieux l’ordre social, la violence a également connu une chute vertigineuse.»

Selon Rudi Westendorp, le rôle de la médecine dans l’accroissement de la durée de vie est généralement surestimé. «Il est inexact d’affirmer que les antibiotiques sont la raison de ce spectaculaire allongement de notre durée de vie. Bien sûr, les traitements médicaux ont joué un rôle important. La diminution du nombre de décès suite à une crise cardiaque a sans aucun doute contribué à augmenter notre durée de vie, mais il n’y a aucun consensus sur la contribution exacte de chaque facteur spécifique.»

Deux écoles

Si les percées médicales seules n’expliquent pas que nous vivions jusqu’à 80 ans, c’est peut-être grâce à elles que nous pouvons, à 80 ans, continuer à nous sentir jeunes comme à 40 ans. «Les chercheurs en gérontologie veulent comprendre les processus du vieillissement, afin de parvenir à le ralentir, l’arrêter, voire l’inverser, affirme Joao Pedro de Magalhaes, du département de génomique fonctionnelle et comparative de l’Université de Liver­­pool. A ce jour, néanmoins, nous ne comprenons pas encore bien les mécanismes moléculaires du vieillissement.»

Selon Joao Pedro De Magalhaes, la détérioration de notre corps et de notre esprit peut être expliquée par deux théories se basant sur des fondements différents. Selon la première, le vieillissement serait une accumulation de dégâts subis par notre ADN et causés par l’environnement, l’inefficacité de notre système interne de guérison, voire le fonctionnement normal de nos cellules. D’après la deuxième, en revanche, le vieillissement serait une conséquence naturelle de processus déterminés génétiquement. Toutefois, ces théories tendent à se chevaucher et les scientifiques reconnaissent que la régulation génétique ne peut être entièrement dissociée de l’accumulation de mutations et vice versa.

Des souris et des hommes

«D’après les résultats d’expériences menées sur des souris génétiquement modifiées, les dégâts subis par l’ADN seraient notre principal suspect, mais nous n’avons pas de preuves concluantes», indique Joao Pedro De Magalhaes. Certaines expériences ont montré que les dégâts s’accumulent dans certains types de cellules souches. D’autres, utilisant des souris atteintes de syndromes progéroïdes — causant un vieillissement accéléré –, suggèrent plutôt que les mécanismes génétiques sont à l’origine de telles maladies.

Lars Holm, physiologiste à l’Institut de sciences biomédicales de l’Université de Copenhague, confirme: «Si nous n’atteignons pas les 120 ans, c’est à cause de notre exposition constante à des produits chimiques, à la pollution, à une alimentation inadaptée et à bien d’autres facteurs affectant notre génome. Nos cellules finissent par perdre leur capacité à se régénérer pour nous protéger des facteurs néfastes; cela finit par nous tuer. Cette perte de notre capacité régénérative est peut-être la meilleure définition du vieillissement.»

Jusqu’où la tendance se poursuivra-t-elle? Pour Rudi Westendorp, il n’y a pas de limite absolue à l’âge que nous pouvons atteindre. «Les enfants d’aujourd’hui deviendront probablement centenaires. Il n’y a aucune barrière biologique nous empêchant d’atteindre 120, 140 ou même 160 ans.»

En quête de nos limites

Joao Pedro De Magalhaes ajoute qu’il est nécessaire de poursuivre les recherches sur le vieillissement, dont les maladies telles que le cancer et Alzheimer ne sont que des symptômes. C’est le vieillissement qu’il faudrait traiter pour vivre vieux dans de bonnes conditions. «Je pense qu’il y a une limite à l’âge que nous pouvons atteindre aujourd’hui, car en vieillissant, nous nous fragilisons. Mais si nous arrivions à comprendre et à contrer ce processus, il n’y aurait plus de limites. Si nous parvenions à éradiquer les virus, je crois que nous pourrions également stopper le vieillissement.»

A l’Université de Copenhague, Lars Holm est plus sceptique. «Nous pouvons sans doute vivre plus vieux, mais la vie éternelle est une utopie. Même si elle était biologiquement possible, notre environnement ne la permettrait pas. Nous ne pouvons tout simplement pas éviter les éléments qui endommagent notre corps, comme notre alimentation ou la pollution.»

Il semblerait donc que personne ne sache encore comment échapper au vieillissement. Pourtant, les chercheurs du monde entier développent de nouvelles idées et technologies pour augmenter notre durée de vie et combattre les effets de l’âge.

Comptez vos calories

Un composé très étudié est le resvératrol, également appelé «médicament du vin rouge» parce que cette boisson en est la meilleure source. La molécule a déjà permis de prolonger la durée de vie de levures et de vers, mais cette prouesse semble plus difficile à réaliser chez les mammifères. Pourtant, plusieurs laboratoires et sociétés s’intéressent de près aux propriétés du resvératrol, qui semble être capable de reproduire l’effet de la seule méthode anti-vieillissement à l’efficacité prouvée chez les mammifères: manger moins que notre besoin en calories.

«La restriction calorique allonge la durée de vie chez différentes espèces, mais nous n’avons pas encore de preuve formelle qu’elle fonctionne chez l’homme, affirme Joao Pedro De Magalhaes. Cela dit, parmi les méthodes que nous connaissons, c’est celle qui a le plus grand potentiel.» Pourtant, la restriction calorique devra peut-être concéder le titre de remède miracle à un médicament appelé rapamycine.

Utilisé dans le cadre du traitement de certains types de cancers et comme immunosuppresseur lors de greffes d’organes, la rapamycine est produite par une bactérie initialement découverte dans les sols de l’île de Pâques. Cette molécule inhiberait certains processus liés au vieillissement en freinant la croissance cellulaire et en améliorant l’autophagie, un processus de recyclage des cellules. De par son effet immunosuppresseur puissant, la rapamycine est encore trop dangereuse pour être utilisée dans les recherches sur l’homme, mais plusieurs entreprises tentent d’en développer une variante — un «analogue», selon le jargon pharmaceutique — ne présentant pas ces effets secondaires. «Je suis sûr qu’un jour, nous aurons un vrai produit anti-vieillissement, et la rapamycine représente une piste très prometteuse», déclare Joao Pedro De Magalhaes.

Une vision globale

Søren Brunak, professeur de biologie des systèmes à l’Université de Copenhague, croit que sa discipline peut contribuer à la compréhension du vieillissement. «Cette approche fournit une vue d’ensemble. Comprendre la régulation et l’expression des gènes, ainsi que les interactions entre les protéines encodées par ces derniers, relève de la biologie des systèmes», explique-t-il. Cette science est issue de la bio-informatique dont elle a hérité des outils. Alors que cette dernière étudie un seul type de facteur biologique — tel l’ADN — et un seul gène à la fois, la biologie des systèmes vise à intégrer plusieurs types de facteurs simultanément.

Søren Brunak souligne néanmoins les limites de la discipline: «Certains espèrent qu’elle permettra de simuler le cerveau ou la physiologie du corps entier, mais ceux qui travaillent dans le domaine depuis des années savent que la non-linéarité des systèmes biologiques rend cette tâche très ardue. C’est comme réaliser une prédiction météo un an à l’avance, avec un niveau de complexité encore 20 fois plus élevé.»

En matière de recherche sur le vieillissement, il semble donc évident que le meilleur reste à venir. En attendant l’immortalité — ou du moins notre 100e anniversaire — Rudi Westendorp nous rappelle ceci: «L’allongement de l’espérance de vie est une victoire sans précédent d’un point de vue sociétal. Arrêtons d’être pessimistes quant au vieillissement. Nous allons vivre de plus en plus longtemps et de mieux en mieux, et nous devrions tous nous consacrer à vivre notre vie pleinement.»
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ENCADRE

Huit infos étonnantes sur le vieillissement

01. Le stress tue
Une jeunesse stressante et anxieuse accélère le vieillissement cellulaire. Certains marqueurs du vieillissement semblent être plus communs chez les individus ayant souffert de dépression ou abusé de certaines substances avant l’âge adulte.

02. Vie éternelle
L’inventeur américain Ray Kurzweil (67 ans) affirme qu’un jour, nous serons immortels. Pour mettre toutes les chances de son côté, il avale 150 cachets par jour et veut être cryogénisé en attendant que la médecine fasse des progrès.

03. Le poids des gènes
D’après des études réalisées sur des jumeaux, les gènes déterminent 20 à 30% de la durée de vie, le reste dépendant de notre style de vie. Si vos ancêtres ont vécu plus de 80 ans, vous avez de bonnes chances de dépasser cet âge.

04. Régime ancestral
Le jeûne par intermittence, utilisé lors de régimes, a un impact positif sur la santé. Imiter nos ancêtres et alterner entre abondance et famine aurait des effets sur le système immunitaire et la régulation de la glycémie.

05. Une ville de centenaires
Les habitants d’Okinawa, au Japon, vivent longtemps et en bonne santé. Une étude sur ces centenaires révèle une contribution de leurs gènes, des taux hormonaux, du style de vie et de l’alimentation. La recette? Du poisson, du soja et des algues.

06. Quatre ans de plus
Les femmes vivent plus longtemps que les hommes, mais leur vie est plus pénible. Au Royaume-Uni, leur espérance de vie est de 82,1 ans, contre 78,1 pour les hommes mais ceux-ci ne seront malades que pendant 14,6 ans, contre 16,4 ans pour les femmes.

07. Formule magique
Des scientifiques de l’Université d’Etat de l’Iowa ont proposé un modèle de longévité basé sur six ingrédients favorables: le sexe féminin, une origine asiatique, le soutien social, certains traits de caractère ainsi qu’un esprit et un corps sains.

08. Un élixir naturel
La rapamycine, produite par des bactéries découvertes sur lîle de Pâques, permet de freiner la croissance et la division cellulaires. Un jour, elle pourrait devenir le premier remède contre les symptômes du vieillissement.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 5).

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