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Une utopie urbaine zurichoise

A Zurich, la coopérative Kalkbreite fait revivre un coin de ville longtemps laissé à l’abandon. Elle propose une utilisation novatrice de l’espace, faite de petits volumes privés, de grandes surfaces communes et de pièces partagées.

D’un côté, des rails de train. De l’autre, une route à la circulation infernale. Sur le papier, cette parcelle triangulaire du centre de Zurich n’a rien d’avenant. Si peu d’atouts qu’elle s’est d’ailleurs longtemps vue reléguée au statut de no man’s land bétonné, peuplé de trams au repos. Mais elle connaît depuis peu un renouveau: sur son territoire s’élève désormais la coopérative d’habitation Kalkbreite, un bâtiment orangé achevé en 2014.

Première surprise, l’édifice surplombe et entoure le dépôt de trams, toujours présent mais dissimulé au rez-de-chaussée par une succession de cafés branchés et de boutiques, dans laquelle se niche même un cinéma. Dans les étages consacrés aux bureaux, le panorama se poursuit dans la même veine avec une crèche, un cabinet médical ou encore le siège de Greenpeace Suisse. Kalkbreite est ainsi devenue en quelques mois un centre d’attraction. En ce mardi, peu avant midi, difficile de trouver une place libre au café Bebek. Une foule bigarrée s’y presse dans un décor mélangeant design vintage et motifs orientaux.

«Notre concept consistait à faire vivre ce lieu qui se résumait à un vide entre deux quartiers, raconte Res Keller, directeur de la coopérative, attablé devant un café. La volonté de mixité entre habitation et travail, en s’inspirant des immeubles du passé dont les cours étaient occupées par des artisans, se trouvait au cœur de l’aventure dès ses débuts en 2006.» Face aux blocages municipaux autour de l’avenir de la surface, un petit groupe de passionnés organise alors un workshop public pour réfléchir au type d’habitat urbain qui pourrait y éclore. La rencontre attire, à leur grande surprise, une cinquantaine de personnes et permet de poser les grandes lignes du projet. La Ville se laisse convaincre. Et la vision devient réalité.

Moins de m2 par personne

Retour en 2015. En montant les escaliers qui mènent à la grande cour intérieure du bâtiment, parc ouvert au public et où le bruit du trafic n’est plus qu’un lointain souvenir, Res Keller raconte les spécificités de la partie dédiée au logement. Car c’est bien là que résident les aspects les plus novateurs de Kalkbreite. «Chaque habitant dispose de 32 m2, bien moins que la moyenne suisse de 45 m2. Pour que cela fonctionne, nous avons misé sur des petites surfaces individuelles, des grands volumes communs et des pièces partagées.»

Cette nouvelle rationalisation de l’espace trouve une première illustration dès le lumineux hall d’entrée, flanqué d’une bibliothèque et d’un coin salon. De là, on accède aux chambres d’amis communes, où les habitants ont la possibilité de loger leurs invités. Un autre couloir mène aux pièces dites «flex», qui se transforment au gré des besoins en bureaux pour ceux qui travaillent à la maison, salles de réunion ou de yoga. Kalkbreite a également adopté le principe du «cluster»: les habitants de neuf studios avec kitchenette, pensés pour une personne, se partagent une grande cuisine située sur le palier. «C’est l’une des seules pièces de l’immeuble munie d’un balcon», sourit Res Keller. La cinquantaine d’appartements n’en ont pas. Une façon d’encourager les rencontres et l’utilisation des lieux partagés.

Les 251 habitants — de tous âges, origines et milieux sociaux, comme en attestent les statistiques de la coopérative — sont donc incités à participer. Et ça marche? «Environ un tiers prennent part de manière intensive aux décisions et à l’organisation, répond Res Keller. Pour une démocratie, c’est plutôt pas mal!» Olivier Bourgogne, Lyonnais de 61 ans installé à Zurich depuis trois décennies, fait partie de ceux qui s’impliquent avec conviction. Il consacre près d’une journée par semaine au comité d’un groupe de 20 appartements appelé «grand foyer». La particularité de cette structure? Tous les appartements sont autonomes et équipés d’une cuisine, mais les locataires partagent aussi une salle à manger où une cuisinière professionnelle prépare des repas cinq soirs par semaine.

La chambre devient un électron libre

Le volet participatif du projet a représenté l’une des motivations principales d’Olivier Bourgogne et sa femme, parents de trois filles adultes, lorsqu’ils ont décidé de rejoindre Kalkbreite. «Nous voulions revenir en ville après des années dans une maison en dehors de Zurich, explique le préretraité. Habiter une coopérative, c’est le résultat d’une réflexion sur la manière dont nous voulons aborder une nouvelle phase de notre vie, sans enfants.» Bien sûr, les prix abordables — le loyer mensuel moyen d’un appartement de 100m2 est de 2000 francs — ont aussi joué un rôle. La plus jeune fille du couple, âgée de 19 ans, habite dans une des unités de l’immeuble appelées «jocker», des chambres indépendantes de 25m2 qui peuvent être associées à un bail pour quelques années. «Une offre idéale vu notre constellation familiale, apprécie Olivier Bourgogne. Quand elle décidera de partir, nous ne devrons pas changer d’appartement.»

Couples désireux d’avoir deux chambres séparées, adolescents en attente de prendre leur indépendance: la demande pour ces pièces «jocker» est beaucoup plus forte que prévu, souligne Res Keller. «J’aime l’image de la chambre comme un atome qui peut appartenir à différentes molécules. Les modes de vie contemporains rendent les frontières des appartements traditionnels obsolètes. L’appartement familial, un modèle que l’on retrouve encore dans la majorité des constructions, ne correspond plus à la réalité sociale. En Suisse, 85% des logements ne sont pas occupés par des familles, mais par des personnes seules, des couples ou des colocations.»

Voitures interdites

Il reste un peu de temps avant la fin de la visite, quelques minutes pour aborder la dimension écologique de Kalkbreite. La mobilité, tout d’abord. A Kalkbreite, les habitants s’engagent à ne pas posséder de voiture. Pour ce qui est du bâtiment, Res Keller mentionne le standard Minergie, la pompe à chaleur alimentée par les eaux souterraines et l’usage de matériaux bruts, comme le bois massif, plus faciles à recycler. «L’idée était de proposer un cadre qui permette à chacun de réduire son empreinte écologique. Mais au final, il s’agit d’un choix individuel», souligne le directeur, avant de prendre congé. La promenade se termine entre le traiteur africain et la supérette bio. Sur le trottoir, les terrasses de bistrots sont déjà parées de leurs plus belles lanternes pour les beaux jours. Il souffle, en ce mardi de printemps, comme un air d’utopie dans le centre de Zurich.

Contacté quelques jours plus tard par téléphone, Hani Buri, professeur à Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg — HEIA-FR, se dit impressionné par la réalisation. Il souligne le grand professionnalisme de ses instigateurs, des personnes issues du mouvement contestataire zurichois des années 1980, qui ont su donner vie à leur vision. «Cela montre qu’il est possible de valoriser un site longtemps considéré comme inconstructible, et ce grâce au modèle coopératif et à l’ouverture d’esprit d’une ville qui accepte de donner des droits de superficie à ce genre d’organisations.» Une inspiration pour la Suisse romande?

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Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 9).

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