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Une entreprise entre amis, une bonne idée?

Fonder une société avec un ami: c’est le choix que font de nombreux jeunes entrepreneurs. Une association à la fois professionnelle et affective qui comporte des avantages, mais aussi des risques.

«Se lancer dans l’entrepreneuriat, c’est comme entrer dans les ordres, résume Yann Popper, cofondateur de la société genevoise de restauration The Hamburger Foundation. C’est un choix de vie qui bouleverse tout, alors autant le faire avec des personnes que l’on apprécie.» C’est donc avec deux amis d’enfance que le jeune homme a lancé son projet. Et il n’est pas le seul à avoir fait ce choix: les PME Luxe-à-porter, Brasserie Docteur Gab’s ou encore TimeForYou sont autant d’autres exemples romands. «S’associer avec un ami est rassurant car la relation est déjà construite. Souvent, on possède les mêmes valeurs, analyse la psychologue du travail Edna Didisheim. L’enthousiasme partagé pour un projet peut être un moteur déterminant.»

D’après les données récoltées par l’entreprise de coaching Startups.ch, la Suisse a enregistré un nouveau record du nombre d’entreprises créées en 2014: 41’588 nouvelles sociétés se sont inscrites au registre du commerce, soit 1,86 % de plus qu’en 2013. «Risque de perdre son travail, mésentente avec ses collègues, difficulté à trouver un poste… De nombreux facteurs poussent les gens à vouloir être leur propre patron, relève Alice Christ, cheffe du marketing chez Startups.ch. Parmi les jeunes pousses que nous suivons, nous constatons une tendance à créer entre amis ou connaissances, souvent pour une question de confiance.»

Compter sur l’autre

La confiance est en effet l’une des premières raisons citées par les entrepreneurs interrogés. Choisir de monter sa PME équivaut souvent à se jeter dans l’inconnu et s’appuyer sur une relation solide et fiable représente un atout. «Nous pouvons compter l’une sur l’autre car nous savons que nous poursuivons le même objectif, expliquent les deux amies fondatrices de l’entreprise neuchâteloise Luxe-à-porter, Géraldine Gatto et Marie-Maude Michaud. La compréhension et le dialogue sont plus faciles car nous nous connaissons bien.»

Se lancer à plusieurs permet aussi un partage des responsabilités, également perçu comme un avantage par les amis entrepreneurs. «Se répartir les tâches et les charges permet de diviser la pression, note Marc Gouzer, cofondateur de The Hamburger Foundation. Seuls, nous ne ferions pas le tiers de ce que nous accomplissons aujourd’hui.» Mais pour que cela fonctionne, il faut que les compétences de chacun soient complémentaires. «J’ai pu constater, dans certains cas, que les amis d’études qui se lancent ensemble rencontrent des problèmes car ils possèdent exactement les mêmes compétences, relève la psychologue du travail Edna Didisheim. Or, il faut des aptitudes et des savoir-faire différents au sein d’une équipe, afin de pouvoir gérer les finances et la communication par exemple.»

La répartition des responsabilités peut se révéler problématique. Souvent, les tâches et les parts de la société sont divisées de manières égales entre les amis. Mais que se passe-t-il si l’un d’entre eux est amené à prendre davantage de pouvoir? Ou si un autre veut baisser son temps de travail? Ou encore s’il faut répartir différemment le capital? «Lorsque des amis s’associent, il arrive régulièrement qu’ils ne prévoient pas la fin de leur partenariat, poursuit Edna Didisheim. Alors que dans d’autres types d’entreprises, ces situations sont formalisées ou du moins discutées. Ce manque d’anticipation peut être un piège.»

Prévoir le pire

C’est le problème qu’ont rencontré les deux fondatrices de l’entreprise genevoise de conciergerie TimeForYou. Lorsque l’une d’entre elle a souhaité diminuer son temps de travail, cela a créé un déséquilibre difficile à gérer et conduit les deux associées à se séparer. «Nous n’avions pas du tout anticipé cette situation, se souvient Julie Besson, actuelle directrice de To Do Today Suisse (anciennement TimeForYou). Le fait d’être amies compliquait encore plus les choses car cela nous impliquait émotionnellement.» D’après Reto Engler, co-fondateur avec deux amis de la Brasserie Docteur Gab’s à Lausanne, «il est primordial de clarifier les rôles et les attentes de chacun dès le départ et de considérer le pire des scénarios». Dans la même optique, les amis de The Hamburger Foundation ont établi une liste de tout ce qui pourrait les pousser à se séparer, afin d’anticiper les problèmes avant qu’ils n’arrivent.

Julie Besson compare volontiers son association avec son amie à un mariage. Et comme pour un divorce, des aspects affectifs et financiers entrent en jeu au moment de la séparation. Si les deux ex-associées de TimeForYou ont su malgré tout préserver leur amitié, bien souvent, les dommages causés par un échec sont irréversibles. «Il s’agit du principal danger de travailler avec un ami, analyse Edna Didisheim. S’il y a conflit, on ne perd pas seulement un associé, mais également une personne chère.»

C’est ce qui est arrivé aux deux associés d’espace-terroir.ch, service de livraison à domicile de paniers de fruits et légumes locaux et de saison, basé à Genève. Six mois après la fondation de sa société, Guillaume Lambert décide de s’associer avec un ami de son club de foot. «Nous avions un accord oral: en tant que fondateur, je possédais deux tiers des parts de la société et lui un tiers, mais nous possédions le même statut de dirigeant. Cela a créé un déséquilibre dès le départ.» Alors qu’ils se sont toujours bien entendus, les deux associés développent très vite une relation conflictuelle. Leurs opinions divergent sur la direction à donner à l’entreprise. «Mon associé avait un passé d’employé, au contraire de moi. Il ne réalisait pas les enjeux qui entourent une jeune société, poursuit Guillaume Lambert. Il voulait développer une stratégie commerciale fidèle à son éthique mais peu rentable pour le projet, qui pour moi devait passer avant tout.» Absolument pas sur la même longueur d’ondes, les deux amis se séparent en mauvais termes et ne se fréquentent plus aujourd’hui.

Insouciance et défi

«On croit connaître quelqu’un, mais souvent, on ne le connaît que sous un angle: en général sur le plan privé quand il s’agit d’un ami, explique la psychologue Edna Didisheim. Or une personnalité peut révéler d’autres facettes dans le contexte du travail.» Nullement découragé par cette expérience, Guillaume Lambert s’est associé avec à autre ami suite au départ du premier. «Je ne souhaite pas diriger mon entreprise seul. Etre à deux permet de diluer la pression et de ne pas avoir toutes les responsabilités sur les épaules.»

L’insouciance et le défi caractérisent souvent les projets élaborés entre amis. Cette particularité peut souvent s’avérer payante. «Il arrive que deux amis, ayant chacun un travail de leur côté, essaient de lancer un projet ensemble, juste comme ça, pour voir, commente Alice Christ, de Startups.ch. Et, très souvent, ça marche!» Cependant, cette forme de désinvolture peut aussi se retourner contre la société et lui être fatale. «On peut parfois déceler un manque de sérieux, peut-être par naïveté ou parce que la pression est moins forte, poursuit Alice Christ. Il s’agit de l’une des causes d’échec de ce type d’association.»

Mais lorsque que les affaires marchent et que la société se développe, tous les amis entrepreneurs s’accordent à dire que l’expérience est unique. Il faut accepter de mettre son amitié en péril, «mais c’est un risque à prendre car lorsque cela fonctionne, c’est extraordinaire d’avoir ses amis pour collègues, s’enthousiasme Yann Popper, de The Hamburger Foundation. Nous sommes peut-être moins riches actuellement que lorsque nous étions salariés, mais nous sommes bien plus heureux.» Même s’ils se voient tous les jours au travail, beaucoup d’associés indiquent continuer à se fréquenter en dehors, pour des sorties ou même des vacances.
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TEMOIGNAGES

«Jamais nous n’aurions osé nous lancer seuls»

Les fondateurs de The Hamburger Foundation rêvaient déjà d’ouvrir un restaurant ensemble à l’âge de 16 ans.

Marc Gouzer, George Bowring et Yann Popper, amis d’enfance, ont fondé leur entreprise de restauration, The Hamburger Foundation, en août 2012 à Genève. A l’étroit dans un petit food-truck les deux premières années, ils ont dopé la croissance de leur société en 2014 avec l’ouverture d’un restaurant, le lancement d’un second food-truck et l’inauguration d’un bar à huîtres, Chez Henri. De trois collaborateurs, ils sont passés à dix salariés fixes et emploient jusqu’à 50 extras en été.

Travailler entre amis représente l’accomplissement d’un rêve dont ils parlaient déjà à 16 ans. «Nous nous rendions dans le seul restaurant de burgers de la ville, et projetions d’avoir notre propre enseigne plus tard», se rappelle Marc Gouzer. Même si chacun entame une carrière différente, l’idée reste toujours présente. «A 28 ans, on s’est dit: c’est maintenant ou jamais. Le fait de se lancer à trois nous a donné du courage, jamais nous ne l’aurions fait seuls.» Les tâches se répartissent facilement car chacun possède des compétences différentes. George s’occupe de la logistique et des ressources humaines, Marc de la trésorerie et des négociations avec les fournisseurs et Yann de la communication et de l’esthétique. «C’est bon pour l’égo, chacun a sa responsabilité propre. Mais on s’entraide et on prend les décisions ensemble. Bien sûr, on se dispute, mais c’est souvent de là que naissent les meilleures idées.»

Selon eux, être trois est idéal. «Il y a toujours une majorité s’il l’on n’arrive pas à se mettre d’accord. Et si l’un de nous veut prendre des vacances, il sait qu’il ne laisse pas une personne seule aux commandes.» Mais les vacances, ils aiment les prendre ensemble, nullement lassés de travailler sept jours sur sept en trio. «On dit souvent que s’associer avec des amis est dangereux, mais on ne dit pas que si cela fonctionne, c’est absolument génial! Nous ne savons pas si nous ferons des burgers pour toujours, mais nous sommes convaincus que nous continuerons à travailler ensemble.»
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«Quand nos avis diffèrent, l’entreprise passe avant tout»

Des responsabilités à l’actionnariat, Géraldine Gatto et Marie-Maude Michaud ont tout partagé à parts égales pour faire fonctionner leur société Luxe-à-porter.

«Pour nous, cela a été une question de timing, confie Géraldine Gatto, 37 ans, cofondatrice de l’agence de distribution Luxe-à-porter. Je venais de quitter mon poste dans un grand groupe horloger suisse et Marie-Maude (Michaud), qui dirige également les bijouteries Michaud avec ses frères, cherchait une personne pour l’aider à développer un nouveau réseau de détaillants. Nous nous sommes connues comme ça et avons vite développé une relation amicale.»

Après cette première expérience commune, les deux copines originaires de Neuchâtel lancent leur entreprise en 2008. Elles se consacrent d’abord aux mêmes tâches, toutes deux à plein temps, puis décident de diviser leur temps de travail après quelques mois. «Travailler à deux permet davantage de liberté et de flexibilité. Lorsque l’une est absente, on sait que l’autre dirigera l’entreprise avec les mêmes valeurs que les siennes.» Elles soulignent la côté rassurant de travailler avec une personne complice: «Nous partageons les moments difficiles comme les plus joyeux. Mais quand nos avis diffèrent sur un point, le bien de l’entreprise passe avant tout.»

«Quand on a dit autour de nous que nous allions nous lancer ensemble, plusieurs personnes nous ont déconseillé de tout partager à 50-50, notamment dans l’actionnariat. Mais il était hors de question pour nous de faire autrement. C’est en trouvant un équilibre à tous les niveaux que cela nous semblait faisable.» L’équipe de Luxe-à-porter compte aujourd’hui sept collaborateurs et gère la distribution de six marques de bijouterie et horlogerie, dont la marque belge Ice-Watch et la suisse Bomberg, dans plus de 200 points de vente en Suisse.
Après sept ans de collaboration, les deux associées assurent par ailleurs toujours sortir entre amies en dehors du travail. «Nous sommes toutes deux beaucoup en déplacement pour des rendez-vous clients ou pour visiter nos revendeurs. Cette distance permet sûrement de garder le plaisir de se retrouver.»
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«Notre amitié a permis à l’entreprise d’évoluer rapidement»

La Brasserie Docteur Gab’s est née d’un hobby d’adolescents pratiqué dans une cave.

Nichée dans la petite commune de La Claie-aux-Moines, au-dessus de Lausanne, la Brasserie Docteur Gab’s est née en 2012 de la passion pour la bière artisanale de trois voisins et amis d’enfance: Reto Engler, Gabriel Hasler et David Paraskevopoulos. «Tout a commencé quand Gabriel a reçu un kit de fabrication de bière pour ses 16 ans, en 2001, raconte Reto Engler. Nous nous sommes vite pris au jeu et nous nous retrouvions les soirs de semaine et les week-ends à brasser dans sa cave.» L’idée de transformer leur hobby en activité professionnelle naît en 2010, à la fin de leurs études respectives.

«Nous avions continué notre activité amateur entre les cours, en vendant d’abord suffisamment de bières à notre entourage pour amortir nos dépenses et acheter du nouveau matériel. Et en 2010, nous avons décidé de nous consacrer, pour deux ans au moins, à développer notre entreprise à plein temps.» Un pari gagnant pour les trois amis qui emploient aujourd’hui 15 collaborateurs, produisent près de 240’000 litres de bière par année et comptent plus de 500 clients dans toute la Suisse romande.

Ils s’accordent à dire que leur amitié a été un moteur positif pour leur affaire et leur a permis d’évoluer rapidement: «Elle a représenté une valeur ajoutée dans notre démarrage. Nous nous faisions confiance et étions prêts à nous impliquer totalement.» La seule difficulté pour les trois copains, aujourd’hui trentenaires, a été la définition du rôle de chacun: «Etre trois à faire la même chose ne fonctionne pas longtemps. Le partage des tâches a été salvateur. David s’occupe de la commercialisation, Gabriel du management et moi-même de la production. Les salaires ont été établis sur cette base-là.» La Brasserie Docteur Gab’s distribue aujourd’hui cinq saveurs de bières fixes et une de plus pour chaque saison. Le prochain défi? Faire découvrir les mariages possibles entre la bière et les plats cuisinés, en collaborant avec des restaurants ou des petits festivals locaux.
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«Aucun contrat n’avait été établi entre nous»

Pour le bien de leur société TimeForYou, Julie Besson et son associée ont dû se séparer.

En 2007, Julie Besson fonde avec une amie la société de conciergerie d’entreprise TimeForYou. «Amies depuis 10 ans, nous nous trouvions toutes deux dans une période charnière de notre parcours professionnel», se souvient Julie Besson. Constatant la pauvreté de l’offre en matière de services à la personne en Suisse, elles décident de lancer leur société à Genève. «Nous trouvions plus sympa de nous lancer à deux, de partager nos idées et nos compétences.»

Les deux associées se répartissent les tâches et les parts de la société de manière égale. Hormis les statuts standards exigés par la loi, aucun contrat n’est établi pour régir leurs relations. «Nous étions comme deux amoureux qui n’ont pas envie de parler de leur contrat de mariage. Nous n’y avons même pas pensé.» Mais en 2011, l’associée de Julie Besson souhaite diminuer son engagement pour des raisons privées. Le fait de n’avoir pas anticipé une telle situation pose alors problème. «Le timing était mauvais, l’entreprise traversait une période difficile. Dans une start-up où tout est encore à construire, il est impossible de s’engager à temps partiel. Nous avons vite réalisé que cela n’allait pas fonctionner et créer des tensions entre nous. Finalement, nous avons décidé qu’il était préférable de nous séparer. Aujourd’hui, nous sommes toujours amies, mais cette période a été douloureuse.»

Julie Besson continue de développer seule la société qui emploie aujourd’hui 15 collaborateurs et travaille pour des clients tels que Nestlé, Lombard Odier ou la Loterie Romande. Début 2015, TimeForYou opère un virage important en fusionnant avec le groupe To Do Today, leader de la conciergerie d’entreprise en France, et devient To Do Today Suisse. «C’est un compromis idéal. Il s’agit d’une société à taille humaine, dirigée par une entrepreneuse avec qui je peux échanger, le tout dans un cadre juridique clair et équitable.» Grâce à cette nouvelle synergie commerciale, Julie Besson souhaite étendre ses activités à toute la Suisse.
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ENCADRE

Les cinq règles d’or pour fonder une entreprise entre amis

1. Se mettre d’accord dès le départ sur la répartition des responsabilités, des parts de la société et des salaires, et formaliser cet arrangement.

2. Prévoir tous les scénarios possibles (départ de l’un des associés, diminution du temps de travail, nouvelle répartition du capital, etc.) et contractualiser la manière de procéder dans ce genre de situation.

3. Dialoguer ouvertement, échanger sans tabous, ne pas craindre les conflits car ils peuvent amener des solutions. Faire passer le bien de l’entreprise avant tout.

4. S’accomplir individuellement. L’éthique, les valeurs et le fonctionnement de la société doit correspondre à chaque associé.

5. S’adjoindre les services d’un médiateur. Ne pas hésiter à faire appel à une tierce personne pour aider à la prise de décisions conflictuelles ou pour un simple regard extérieur.

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Collaboration: Céline Bilardo

Une version de cet article est parue dans PME Magazine.