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Les serpents de mer ne craignent pas la canicule

Du conseiller d’Etat Mauro Poggia à l’UDC, on s’inquiète que l’aide sociale soit souvent supérieure au travail rémunéré. Mais quand on a dit ça, on n’a rien dit.

Les serpents de mer ne craignent pas la canicule. Celui-ci par exemple, qu’on voit ressurgir tout à coup, véritable fantasme de la droite, réel déni de la gauche: le fait que l’aide sociale est, ou serait, selon qu’on se place à bâbord ou à tribord, plus profitable que le travail. De quoi faire enrager les valeureux et laborieux qui triment à journée faite et déclencher un rire jaune chez ceux qui en sont réduits à compter sur la charité publique.

Plutôt deux fois qu’une. Au moment où un rapport interne commandé par le conseiller d’Etat genevois Mauro Poggia et révélé par «Le Temps», démontrait que dans bien des cas mieux vaut être à l’aide qu’au boulot, l’UDC tenait conférence de presse sur le même sujet. Pour pointer cette même anomalie, scandale d’entre tous les scandales, infamie majuscule, que résume le conseiller national Thomas Müller d’une voix qu’on imagine frémissante d’indignation: «Il y a des gens qui sont à l’aide sociale et qui s’en sortent mieux que d’autres qui travaillent.» Comme s’il s’agissait d’un concours, d’une course à la dèche comparée, d’un jeu de cons à qui perd perd.

La musette de l’UDC fourmille ainsi d’exemples qu’on est prié de croire authentiques sur parole, mais que confirme plutôt le rapport Poggia. Comme celui d’une famille avec trois enfants qui se verrait biberonnée par l’Etat à hauteur de 5800 francs par mois. Somme mirifique, pluie véritable d’or tombée du ciel bienveillant de maman Helvétie et qui comprendrait les besoins de base, le logement, l’assurance maladie, une allocation d’intégration, les frais de gardes et même des cours d’allemand. Ne manque qu’un rab, tant qu’on y est, pour les abonnements piscines ou les séjours aux sports d’hiver.

«Tout cela, assène doctement l’UDC, n’incite pas à travailler.» La Palice, quand tu nous tiens. On pourrait faire remarquer que point n’est besoin d’avoir potassé Schopenhauer et Pascal pour comprendre que le plus grand péril qui menace l’homme, c’est l’inactivité, et le miroir qu’elle lui tend très vite, où se reflète son insondable et terrifiante vacuité. Que le travail, la plupart des gens n’ont pas besoin d’y être incités. Qu’il peut être pour la plupart d’entre nous, outre une nécessité économique, un motif de satisfaction, un mode de vie, ou encore, soyons fous, un coup de pouce décisif dans le long chemin vers la réalisation de soi. Voir, donc, dans les bénéficiaires des aides sociales, avant tout des profiteurs, c’est avouer qu’on considère soi-même l’oisiveté comme un idéal.

Au lieu de supposer que ce qui compte ce n’est pas tant qu’une famille se royaume à l’aide sociale, mais pourquoi et comment. Chaque situation, surtout lorsqu’il s’agit de précarité, n’est-elle pas éminemment individuelle? Il peut exister des cas où les mêmes 5800 francs précités relèvent de l’escroquerie, d’autres de la simple justice, d’autres enfin où il y aura un peu des deux.

Ceux enfin qui, comme l’UDC, s’agacent de voir l’aide sociale plus élevée que la rémunération du travail ne proposent jamais qu’un même type de solution: la diminution de l’aide. Sans jamais considérer le problème par l’autre bout de la lorgnette et proposer plutôt de relever les plus bas salaires.

Le déni de la gauche ne semble guère mieux valoir, qui refuse d’envisager un seul instant qu’un seul bénéficiaire de la manne publique puisse être un profiteur. Quand cela arrive néanmoins, c’est pour des raisons qui fleurent l’idéologie, si pas la haine de classe. Tel, en avril dernier, un Pierre-Yves Maillard s’inquiétant que des montants trop généreux enfermeraient les bénéficiaires dans «la trappe de l’aide sociale». Pour aussitôt pointer du doigt les principaux profiteurs de ces trop grandes largesses: les familles nombreuses. Salauds de lapins!