LATITUDES

Le succès de l’échec

Plus question de taire ses échecs et ses erreurs. Il est de bon ton de les décliner, telles les clés de la réussite qui en découlera. Le tabou de l’échec se brise.

C’est un test, découvert dans un magazine de l’été, qui permet de savoir si vous êtes suffisamment compréhensif envers vos échecs et vos erreurs. Petit échantillon des 24 questions posées: «Je fais preuve de tolérance vis-à-vis de mes défauts: jamais, rarement, parfois, assez souvent, la plupart du temps, pratiquement toujours.» «Lorsque quelque chose me dérange ou me tracasse, je me laisse envahir par des sentiments négatifs: …», «J’ai tendance à être négatif vis-à-vis de moi-même lorsque je suis confronté à des facettes de ma personnalité qui me déplaisent: …», «Lorsque j’échoue dans un domaine important à mes yeux, j’ai tendance à me sentir seul dans mon échec:…».

Ma curiosité titillée, je me suis lancée: j’ai répondu aux questions, comptabilisé mes points, lu les explications. Mon score révèle: «Vous avez peu d’autocompassion». Autocompassion? On doit ce concept à Kristin Neff, un professeur de psychologie texan. Il induit un sentiment de bienveillance inconditionnelle par rapport à soi-même, en dépit des échecs. J’en suis bien peu pourvue. Mon piètre résultat au test fait de moi la cliente potentielle d’un coach, la lectrice toute désignée d’ouvrages de développement personnel ou, plus original, une future participante aux conférences d’un nouveau genre qui se déclinent, depuis peu, tout azimut.

Leurs noms: FailCon, FailChat, FuckUp Nights ou Fail2Succeed. Dédiées à l’échec et à la promotion de ses aspects fructueux, ces rencontres dédramatisent les ratages. Leur slogan: transformez vos échecs en réussites! La formule est importée d’outre-Atlantique, où l’échec semble y être le moteur de l’entrepreneuriat. Elle débarque dans une Europe où la peur de l’échec constituerait un frein fâcheux à l’innovation. Les initiateurs de ces rendez-vous entendent briser cette omerta sur l’échec qui règne dans le vieux continent. Pour eux, il importe de diffuser le message que tous les «winners» se sont plantés avant de connaître la réussite, tant sur le plan professionnel que personnel.

Les conférenciers invités à s’exprimer lors de ces cultes portés à l’échec sont tous parvenus à redresser la barre, à rebondir après un fiasco. Des exemples particulièrement percutants qui viennent jeter l’opprobre sur ceux qui sombrent, descendent aux enfers à la suite de pareilles expériences. Que ces losers s’imprègnent des propos des grands sages abondamment cités lors de ces «thérapies de groupe»! De Lao Tseu aux stars de la Silicon Valley, Steve Jobs et Bill Gates, en passant par Edison et, bien sûr, Einstein (à qui on fait dire tout et son contraire), tous s’accordent à prôner l’échec comme tremplin indispensable à la réussite.

Le tabou de l’échec se brise. Même un Bertrand Piccard qui semble pourtant avoir échappé à cette épreuve, s’en défend. «Je conseille aux jaloux de consulter la liste de mes nombreux échecs, cela les aidera. Je me suis planté en aile delta, j’ai complètement raté ma société d’ULM quand j’avais 25 ans. Je me suis planté misérablement dans les deux premières tentatives du tour du monde en ballon. Ce que j’ai en plus de beaucoup de monde, c’est la persévérance. Et cela s’acquiert.» Persévérant comme Thomas Edison et ses 10.000 tentatives infructueuses avant de découvrir l’ampoule électrique. «Je n’ai pas échoué. J’ai simplement trouvé 10 000 solutions qui ne fonctionnent pas», commentait-il récemment dans le journal 24 Heures.

Autre profil, Stan Wawrinka. Longtemps assimilé à un loser parce qu’opposé au brillantissime Federer, le tatouage de son bras gauche a fini par lui donner raison. En l’occurrence, une phrase de Beckett incitant à la persévérance: «Ever tried. Ever failed. No matter. Try again. Fail again. Fail better.» (Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Echoue encore. Echoue mieux.)

Voici deux orateurs de rêve pour de futures FailCon ou autres FuckUp Nights. Présentés comme des anti-TED, ces rendez-vous qui permettent d’entendre des récits de ratage qui ont tout de «happy end», en diffèrent-ils? Pas vraiment, tant qu’on n’y invitera pas des losers qui n’ont pas su ou pas pu rebondir. Car qui parle de ses échecs et n’a pas su ou pu transformer cette épreuve en forme de réussite passe toujours, plus que jamais même, pour un nul.

Alors, brisé, le tabou de l’échec?