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La ronde des phobies

On peut avoir peur des araignées ou des voyages en avion. Et tout aussi irrationnellement des logiciels espions ou de l’éducation sexuelle à l’école.

Certains ont peur des araignées, des vols en avion, ou des vendredi 13. D’autres de l’Islam, de la foule, du sexe à l’école, ou des chevaux, surtout s’ils sont de Troie. Chacun ses respectables phobies. Faut-il pour autant les porter sur la place publique? Actionner les tribunaux? En appeler à l’aveuglante sagesse du peuple souverain?

Commençons par les chevaux. Précisément ceux de Troie. La guerre cette fois oppose des jeunes socialistes — de Zurich — à un élu tout aussi de gauche et pas moins zurichois — le conseiller d’Etat Marco Fehr, en charge de la sécurité. Son crime, sa très grande faute? L’achat, pour le compte de la police, d’un logiciel espion, permettant d’infiltrer téléphones et ordinateurs, à l’insu du plein gré d’utilisateurs forcément toujours très innocents.

«L’acquisition et l’utilisation du software Galileo sont une violation du droit constitutionnel à la liberté personnelle et à la vie privée» clame ainsi, outrée, la jeunesse socialiste. Le code de procédure pénale autorise certes les écoutes, mais sous certaines conditions plutôt restrictives. Dans lesquelles les chevaux de Troie du genre de Galileo n’entreraient pas.

Pour affirmer cela, notons que les défenseurs sans reproche de nos précieuses libertés individuelles peuvent compter sur l’appui de quelques avocats. Dont un certain Marcel Bosonnet qui a travaillé entre autres pour saint Edward. Autrement dit Snowden, le dissident américain réfugié dans la riante Russie de Poutine, défenseur acharné et bien connu des tous les espionnés et écoutés de la terre.

Bref, la police n’aurait pas le droit d’acquérir des «chevaux de Troie qui fonctionnent sur des failles informatiques». En agissant ainsi elle se comporterait comme un «hacker criminel». Admettons. Surtout que le bureau du préposé fédéral à la protection des données confirme cette analyse: «A notre avis, l’utilisation de logiciels malveillants n’est pas autorisée par le Code de procédure pénale actuel.»

Très bien. Sauf qu’à pousser le raisonnement au bout de sa logique, on pourra faire valoir qu’en se servant de revolvers et de matraques, la police se comporte comme les tueurs en série et les détrousseurs de vieilles dames. Qu’il conviendrait donc de lui en interdire l’usage pour la faire rentrer dans la légalité. Ne parlons même pas de ce que pourrait suggérer l’usage toujours trop systématique des menottes. Ce qui est étrangement dénié ici c’est le droit de la police, et donc des structures publiques, de se battre à armes égales avec la criminalité. De la même façon qu’il faudrait, selon le catéchisme Snowden, ne plus espionner qu’au grand jour, c’est à dire ne plus espionner du tout.

Le sexe à l’école maintenant. Ce n’est guère plus brillant. Le comité d’omniscients issus de la droite conservatrice, parmi lesquelles des personnalités aussi colorées qu’Oskar Freysinger, Suzette Sandoz, Fabienne Despot ou Dominique Baettig et qui voulait limiter fortement l’éducation sexuelle en milieu scolaire, retire donc son initiative.

Au motif que les objectifs auraient déjà été atteints, Bâle-Ville retirant par exemple son stock d’organes sexuels en peluche. Les intentions sont sans doute bonnes. De la même façon que personne n’est contre les libertés publiques — à part quelques états islamiques, la Chine, et la Russie snowdo-poutinienne — tout le monde entend protéger les enfants, hormis quelques pédophiles.

Rappelons à ce propos que lors du débat au Conseil national où le texte avait été balayé, la verte libérale Isabelle Chevalley avait fait valoir qu’une fille sur cinq et un garçon sur dix étaient victimes d’abus sexuels. Que l’information dispensée aux enfants dans ce domaine n’avait donc pas grand chose à voir avec «une sexualisation de l’école», mais tout avec un souci de prévention.

On aurait aussi pu parler de la squalophobie, la peur des requins, ou de la phasmophobie, la trouille des fantômes. Ce sera pour une autre fois.