KAPITAL

Les MOOCs montent en gamme

Après des débuts hésitants, les fameux cours en ligne ont trouvé une audience solide et donné naissance à un modèle d’affaires susceptible d’attirer les investisseurs. Décryptage.

En automne 2011, Sebastian Thrun a mis en ligne le premier cours vidéo de l’histoire. Il traitait de l’intelligence artificielle. Ce professeur d’informatique de l’Université Stanford est considéré depuis lors comme le père des MOOCs (massive open online courses), un acronyme inventé pour décrire ces enseignements dispensés sur internet. Une idée simple mais qui, sur le moment, semblait devoir lancer une révolution de l’éducation tertiaire. Ces cours en ligne allaient permettre à des centaines de milliers, voire à des millions de personnes, d’accéder au savoir confiné jusque-là au sein des meilleures universités de la planète. Et cela, gratuitement. Les attentes étaient énormes: la nouvelle méthode allait permettre de former les habitants du tiers-monde pour un coût minimal. Et allait améliorer les qualifications des travailleurs sous-employés du monde occidental. Enivré par ces perspectives, le «New York Times» nomma même 2012 «l’année du MOOC».

Sauf que, rapidement, ces espoirs se sont évaporés. Les MOOCs n’ont pas décollé comme espéré. La raison de cet échec: même si des milliers de personnes commençaient un cours, seule une minuscule proportion le terminait. Cette proportion ne dépasse actuellement pas les 4%, selon une étude de l’Université de Pennsylvanie. «Nous nous sommes rendus compte que notre produit était nul», expliquait sombrement Sebastian Thrun au magazine «Fast Company» en 2013. L’ère des MOOCs touchait-elle déjà à sa fin? Non, bien au contraire.

Une approche plus professionnelle

Les développeurs de MOOCs ont commencé à améliorer leur produit. Ils ont compris que filmer un cours depuis le fond de la classe ne suffisait pas. «Nous avons professionnalisé la conception de nos vidéos, raconte Josh Scott, le fondateur de Craftsy, un développeur de cours en ligne. La production doit être d’excellente qualité et ne pas être laissée uniquement entre les mains des professeurs.» Craftsy dispose désormais d’une équipe qui s’occupe exclusivement de filmer les cours.

Certaines plates-formes, à l’image de The Great Courses, préparent leurs enregistrements comme des tournages hollywoodiens. Les intervenants sont maquillés, les professeurs doivent répéter pendant plusieurs mois avant d’être filmés, et la structure des cours ne suit pas celle des leçons traditionnelles. Pas question de présenter un powerpoint avec une liste de vocabulaire à apprendre par cœur. Il s’agit de créer des exercices en ligne et de présenter les informations au moyen de graphiques interactifs.

Les professeurs font en outre l’objet d’un processus de sélection rigoureux. «Tout le monde ne peut pas donner un cours en ligne, explique Josh Scott. Il faut être dynamique et savoir bien s’exprimer face à la caméra.» En outre, une large place est laissée à l’interaction avec les étudiants. EdX, la plate-forme de MOOCs mise en place par Harvard et le MIT, exige des professeurs qu’ils envoient régulièrement des e-mails à leurs étudiants. Craftsy permet pour sa part de poser des questions durant les cours. «Sans interagir avec d’autres étudiants ou avec les professeurs, les gens ne parviennent pas à se concentrer autant», note Josh Scott.

Aujourd’hui, les développeurs de MOOCs se rendent aussi compte qu’offrir des certificats gratuitement est une mauvaise idée: «Il faut que les gens se sentent concernés par la matière, explique Fiona Hollands, une spécialiste du sujet à la Columbia University. Et pour cela, il faut conférer une valeur monétaire aux cours et distribuer de véritables diplômes à la fin des cursus.»

Des cours axés sur la pratique

Fin 2013, Sebastian Thrun a décidé de transformer sa compagnie de MOOCs, Udacity. Plutôt que de donner des cours généralistes, semblables à ceux prodigués à l’université, Udacity se concentre désormais sur des cours pratiques, permettant aux gens d’acquérir des compétences qu’ils peuvent utiliser dans leur environnement professionnel. Udacity a aussi décidé d’attribuer des diplômes, nommés pour l’occasion nano-diplômes. Leurs cours ne sont plus gratuits: ils coûtent désormais environ 200 dollars par mois. Car les concepteurs de MOOCs se sont rendu compte que les formations en ligne étaient surtout adaptées aux enseignements pratiques. «Les cours généralistes ne séduisent pas, explique Fiona Hollands. Il faut que les participants trouvent un intérêt concret à y participer. Sans quoi, ils ne termineront pas le programme.»

Les MOOCs sont devenus un outil de choix pour les professionnels qui cherchent à obtenir de nouvelles compétences ou à peaufiner leur savoir, tel l’employé d’usine apprenant le fonctionnement d’une nouvelle machine, l’informaticien assistant à un cours de programmation ou le photographe découvrant la dernière version de Photoshop. Plusieurs plates-formes ont bâti un joli succès en vendant leurs produits à ce genre de professionnels. Outre Udacity, Lynda.com propose désormais 5’700 cours et réalise un chiffre d’affaires de 150 millions de dollars. Craftsy offre plus de 700 cours et son chiffre d’affaires a dépassé les 40 millions de dollars en 2014.

Séduire les entreprises

Mais pour les concepteurs de MOOCs, le vrai potentiel de croissance réside dans la vente de cours en ligne aux entreprises. «Auparavant, une compagnie devait mettre sur pied une formation professionnelle et convoquer ses employés répartis aux quatre coins du monde dans une
salle pendant deux semaines, explique Anant Agarwal, le CEO de EdX. Cela coûtait cher.»

Aujourd’hui, une entreprise n’a qu’à acheter une série de MOOCs. «Les employés peuvent participer aux cours depuis leur bureau, sans devoir quitter leur poste», poursuit-il. Intel et McAffee, par exemple, procèdent de cette manière pour la formation virtuelle de leurs employés.

Les MOOCs ont aussi commencé à faire des émules dans les couloirs des administrations publiques. La France a, par exemple, développé le programme «France Université Numérique», l’Arabie saoudite a créé Doroob et la Chine a conçu XuetangX, des plates-formes de cours virtuels ouverts à tous les citoyens. «Ces initiatives auront pour effet de stimuler les économies de ces pays en améliorant gratuitement la formation de leurs travailleurs», explique Anant Agarwal.

Levées de fonds

Cette effervescence a éveillé l’intérêt des investisseurs pour les MOOCs. «Ils commencent à réaliser le potentiel du domaine de l’edtech, affirme Matthew Wong, un analyste de CB Insights. Nous avons assisté à plusieurs financements intéressants ces derniers mois.» Lynda.com a levé 186 millions de dollars en janvier 2015, Craftsy 50 millions en novembre 2014 et Grovo 15 millions en février 2015.

Ces levées de fonds coïncident également avec la mise en place de modèles d’affaires qui rapportent de l’argent aux concepteurs de MOOCs. Longtemps dépourvues de réels revenus, ces plates-formes font désormais payer aux étudiants chaque cours qu’ils prennent, les forcent à souscrire des abonnements ou facturent leurs prestations aux universités qui veulent mettre leurs cours en ligne (voir encadrés).

Certaines compagnies envisagent de se coter en Bourse. Josh Scott estime que Craftsy lèvera des fonds sur le marché public «dans quelques années». En juillet dernier, Daphne Koller, membre fondateur de Coursera, a expliqué que l’IPO de sa firme était «inévitable». Et Udacity souhaite développer rapidement ses programmes de formation professionnelle, ce qui exige de lever des fonds pour financer sa stratégie d’expansion. Pour Matthew Wong, l’IPO la plus propice serait celle de Lynda.com. «La firme existe depuis un moment, dit-il. C’est une compagnie très intéressante qui a mis en place un système d’abonnement avec un excellent rendement.»

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ENCADRES

Coursera – L’académique

CEO: Rick Levin
Fondation: 2012
Chiffre d’affaires: Non communiqué

Coursera permet aux universités de proposer leurs cours en ligne. Elle compte 12 millions d’utilisateurs. Les cours dispensés sont gratuits. La firme génère son revenu en vérifiant l’identité des étudiants en ligne, en facturant certains certificats, en faisant sponsoriser ses cours et en créant des formations pour entreprises.

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Lynda.com – La pratique
CEO: Eric Robison
Fondation: 1995
Chiffre d’affaires: 150 millions de dollars

Cette entreprise dispense des cours de photo, de vidéo ou de gestion en ligne. Elle a levé 186 millions de dollars en janvier 2015 et a annoncé vouloir utiliser cet argent pour acquérir d’autres plates-formes éducatives – notamment spécialisées en cours de management –, accélérer son expansion internationale et peaufiner son site internet et le format de ses cours. Lynda.com propose 5’700 cours en ligne et compte plus de 2 millions d’utilisateurs. Elle vend un abonnement au mois, d’un coût compris entre 25 et 37,5 dollars, qui permet d’accéder à la totalité de ses contenus.
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Udacity – La professionnelle
CEO: Sebastian Thrun
Fondation: 2011
Chiffre d’affaires: Non communiqué

Lancée à l’origine comme une université en ligne, cette plate-forme a décidé en 2013 de se focaliser uniquement sur les cours pour professionnels. Elle a levé 35 millions de dollars en 2014 et dispose de 1,6 millions d’utilisateurs. Son modèle d’affaires: des cours d’une durée de six à dix mois, facturés environ 200 dollars par mois et permettant de compléter efficacement des diplômes.
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Craftsy – La créative
CEO: John Levisay
Fondation: 2011
Chiffre d’affaires: 43 millions de dollars

Crafty s’adresse aux personnes créatives, comme les photographes, les cuisiniers ou les amateurs de couture. L’entreprise a levé 50 millions en novembre 2014. Elle dispose de plus de 5 millions d’utilisateurs et a généré un chiffre d’affaires de 43 millions de dollars en 2014. Son modèle d’affaires: vendre ses cours à l’unité pour un prix d’environ 30 dollars.
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Pluralsight – La geek
CEO: Aaron Skonnard
Fondation: 2004
Chiffre d’affaires: 85 millions (estimation; chiffre officiel non communiqué)

Pluralsight est la 42e compagnie américaine la plus prometteuse, selon le magazine américain «Forbes». En août 2014, cette entreprise a levé 135 millions de dollars. Pluralsight dispense des cours qui s’adressent à des professionnels expérimentés, notamment en informatique, qui cherchent à obtenir un savoir pointu. La société facture ses services au mois, entre 30 et 50 dollars.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Swissquote (no 2).