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Populisme de droite: la faute des entreprises?

Le nouveau style de management apparu dans les années 1990 a eu une forte influence dans la hausse du populisme de droite. Un effet que démontre une étude européenne menée par des chercheurs de l’Université de Fribourg.

La montée du populisme de droite s’explique-t-elle uniquement par l’influence des partis politiques sur les citoyens? Fabrice Plomb, sociologue à l’Université de Fribourg, invoque une autre cause. Selon lui, le nouveau style de management, issu des restructurations dans les grandes entreprises dans les années 1990, a joué un rôle fondamental. A la suite d’une étude menée en Suisse et dans l’UE (lire l’encadré), il a publié en mars un livre* consacré à ce phénomène.

Peut-on réellement établir un lien entre travail et opinions politiques?
Dans nos entretiens, nous avons été surpris de constater à quel point les interlocuteurs, interrogés sur les changements dans leur travail, faisaient spontanément le lien avec la société en général et la place qu’ils y occupaient.

Par exemple?
Une vendeuse en lingerie expliquait que, avec le temps, la vente était surtout devenue du libre-service et que son activité consistait moins à conseiller les clientes qu’à surveiller, encaisser et replier les habits laissés dans les cabines. Elle a ensuite enchaîné sur le fait que les clients avaient moins d’estime pour les vendeuses, que les gens ne respectaient plus rien dans la vie et qu’elle ne mettait plus les pieds en ville, où les Suisses allaient bientôt faire figure d’étrangers.

Le vécu au travail est donc crucial dans notre façon de voir la société?
Nous faisons le postulat que le travail constitue l’élément le plus important dans la valeur qu’un individu se donne par rapport aux autres. Il est un marqueur puissant de notre identité puisque c’est souvent la première chose qu’on indique en se présentant. Par conséquent, lorsque sa stabilité est ébranlée, nous devons nous resituer dans la société, ce qui peut mener à un changement dans notre vision du monde, voire à des conversions politiques.

Justement, quels sont les changements qui ont tant ébranlé les salariés dans les années 1990?
Le management s’est désincarné. Le directeur est de moins en moins inséré dans le tissu socioéconomique d’une région et peut même se trouver sur un autre continent. La hiérarchie s’est par ailleurs aplatie. Il y a moins de niveaux intermédiaires, ce qui signifie plus d’autonomie pour les salariés, mais aussi plus de responsabilités, tandis que les contrôles s’effectuent plus souvent via un formulaire informatique que par une discussion avec un supérieur. Enfin, et particulièrement dans les entreprises cotées en Bourse, la priorité est donnée aux résultats à court plutôt qu’à long terme. Tout cela peut donner un sentiment d’aliénation au salarié, quelle que soit sa position hiérarchique.

Quel est le lien avec le populisme?
De nombreux interlocuteurs ressentaient une forme de colonisation de leur travail, que ce soit par des méthodes américaines, des managers étrangers ou de jeunes consultants extérieurs à l’entreprise. Ils avaient l’impression que leurs compétences professionnelles étaient dévalorisées au profit de celles des nouveaux venus. En nous parlant des nouveaux managers, ils dérivaient fréquemment sur les élites politiques et déploraient que des Suisses ayant travaillé toute leur vie peinent à joindre les deux bouts avec leur AVS, tandis que des réfugiés ou des personnes à l’aide sociale étaient entretenus par l’Etat sans lever le petit doigt. Cette idée d’un «peuple du milieu», opposé aux élites et aux «profiteurs», partage de fortes affinités avec le populisme de droite.

Dans les idées populistes, qu’est-ce qui parle tant à ces salariés?
Le fait qu’elles offrent la possibilité d’ethniciser les rapports sociaux, c’est-à-dire de se situer aux autres en fonction de la nationalité. Ces employés ont vu leur valeur économique ébranlée et cherchent à se resituer dans la société en se basant sur leur valeur morale. Ils parlent souvent des changements dans leur travail comme portant atteinte à des valeurs dont ils étaient garants jusque-là, comme l’honnêteté, la ponctualité, l’efficacité, la civilité, etc. Le changement étant perçu comme le résultat d’un facteur extérieur, ces valeurs deviennent celles de la «suissitude» menacée. Cette lecture culturelle s’impose ensuite dans les différents microcosmes dans lesquels ils évoluent, comme le travail, l’espace public ou la vie de quartier.

La percée de l’UDC depuis 1995 n’aurait pas des causes politiques mais économiques?
Même si elle n’en est pas l’unique cause, nous pensons que l’évolution des conditions de travail en constitue un élément fondamental et qu’elle n’a pas été assez thématisée.

* «Les salariés dans la tourmente. Restructurations et montée du populisme de droite». De Fabrice Plomb et Francesca Poglia Mileti. L’Harmattan, 226 p.

UNE ÉTUDE DANS HUIT PAYS
La Suisse, la France, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, l’Autriche, le Danemark et la Hongrie ont participé à l’étude. Au total, quelque 350 entretiens ont été menés entre 2001 et 2004, dont une cinquantaine en Suisse. Ils ont été complétés par une recherche sur l’évolution des conditions de travail et la montée du nationalisme dans les pays concernés. En Suisse, les interviews se sont concentrées sur des salariés de tous les échelons hiérarchiques, dans des entreprises en proie à de fortes restructurations comme la chimie et les télécoms, mais également l’informatique et la vente. Les répondants travaillaient tous depuis au moins 10-15 ans dans leur entreprise.
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Une version de cet article est parue dans le magazine L’Hebdo.