LATITUDES

La clim discrimine

Une guerre froide se livre entre collègues qui partagent des locaux climatisés. Ses victimes: les femmes, l’efficacité, les dépenses énergétiques et l’état de la planète.

La climatisation, censée apporter un confort thermique lorsque la température extérieure est élevée, suscite maints conflits entre collègues dans les open space. La canicule de cet été a mis en exergue le fait que les femmes doivent affronter un froid polaire sur leur lieu de travail. Le réglage de la clim n’est-il pas adapté au genre féminin?

Une journaliste américaine a subodoré une discrimination sexiste. En juillet, son enquête intitulée «Frigid offices, freezing women, oblivious men: An air-conditioning investigation» et publiée dans le «Washington Post» a fait le buzz sur le web. Elle y relate ses rencontres avec des «desperate women» qui, bien qu’armées de cardigans et autres pashminas pour combattre le froid qui règne dans leur bureau, vont se dégeler au soleil en fin de journée. «Il me faut 30 minutes pour me réchauffer, témoigne Ruth Marshall, directrice administrative d’une firme de construction. Je travaille avec de l’air conditionné positionné sur ‘Arctic’!»

Un problème qui ne semble pas toucher les hommes, et pour cause! Depuis leur apparition dans les années 1960, les normes des systèmes de climatisation (standards ASHRAE) sont adaptées aux besoins d’un mâle quadragénaire de 70 kilos, en cravate et en costume. Partant de cette référence, la température idéale dans les bureaux a été fixée à 20-21 degrés.

Et la journaliste de dénoncer «un grand complot sexiste». D’aucuns y ont vu le délire de persécution d’une féministe venant ajouter une discrimination professionnelle supplémentaire. Après les écarts salariaux à compétences égales, les harcèlements sexuels et le sexisme à l’embauche, voici la discrimination du thermomètre. Le monde médical n’a pas fait la sourde oreille. Des physiologistes se sont penchés sur cette problématique peu explorée: le sexe et la thermorégulation.

Toutes les différences entre hommes et femmes ne relèvent pas d’une construction sociale. Il se pourrait que l’on ne naisse pas égaux face au froid, que les zones de confort thermiques diffèrent selon le sexe auquel on appartient, pour des raisons physiologiques. Auquel cas, le confort thermique, conçu pour ces messieurs et imposé aux femmes, incommoderait bel et bien celles-ci.

En 1998, une étude révélait que les mains des femmes sont en moyenne 1,6 °C plus froides que celles des hommes (30,6, contre 32,2°C). Or, leur température centrale (celle de leurs organes vitaux) est légèrement plus élevée (36,5 contre 36,3 °C). D’où l’hypothèse d’une différence de la régulation de la température liée au sexe: les femmes retiennent mieux la chaleur au niveau de leurs organes internes, au détriment de leurs extrémités. Comme les récepteurs sensibles à la température se trouvent dans la peau, à température ambiante égale, elles ressentiraient davantage le froid.

Des collaborateurs gelés commettent davantage d’erreurs et sont donc moins productifs. Alan Hedge, du Laboratoire d’ergonomie de l’Université de Cornell, dans l’Etat de New York, en a apporté la preuve en 2004. Passer de 20 à 25 degrés fait chuter les erreurs de dactylo de 44 % et augmente la productivité de 150%. «La température est certainement la variable clé corrélée à la performance», concluait le scientifique, sans parvenir à focaliser l’attention sur ce sujet.

Un sujet jugé futile car associé à des plaintes féminines. Des plaintes prises enfin au sérieux par des chercheurs de l’Université de Maastricht dont le travail vient d’être publié dans la revue «Nature Climate Change». Ces biophysiciens ont modélisé ce qui, pour chaque individu, constitue «avoir chaud» et «avoir froid», en tenant compte de la composition corporelle et du taux métabolique. «Parce que nous passons beaucoup de temps à l’intérieur des bâtiments, ils définissent quasiment notre environnement thermique, avec une possible influence sur la santé. Cela nous a fait prendre conscience que les standards des bâtiments n’utilisent peut-être pas les bonnes valeurs pour le métabolisme de tout le monde», expliquent-ils. «On estime que le métabolisme des femmes produit 25-35% de chaleur en moins que celui utilisé actuellement dans le modèle mathématique utilisé pour régler la climatisation, poursuit Boris Kingma, coauteur de l’étude. Si les hommes sont à leur aise avec une température avoisinant les 21 degrés, les femmes ont, elles, besoin de 2-3 degrés de plus pour se sentir à l’aise».

Les auteurs de l’étude espèrent que leurs observations pourront aider à améliorer les conditions de travail de nombreux professionnels. On pourrait y ajouter l’amélioration de l’état de la planète, avec une réduction des émissions de dioxyde de carbone et la diminution des conflits dans les couples à l’heure de régler la température dans la voiture. A moins que la publication de cette recherche n’engendre des frissons là où il n’y en avait pas. Depuis sa lecture, très attentive à la température ambiante, j’ai grelotté dans un wagon CFF, lors d’une séance de cinéma et dans une salle de conférence.