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La foire aux bestiaux

Enfin la campagne bat son plein. Jamais pour le meilleur, souvent pour le pire.

Comme le bris d’œufs à l’omelette. Le scalpel à la guérison. Bref, un mal nécessaire. Sauf à plaider pour la dictature, autant se résigner: pas de politique qui vaille, pas de démocratie réelle, sans campagne électorale. Autant dire sans foire aux bestiaux. Une période, la campagne, où à force de courir les rues, plus rarement de fendre les flots, le politicien se révèle sous ses plus sinistres aspects: narcissique, vantard, sectaire. A l’heure paradoxalement où il faudrait briller, respirer l’intelligence.

«En temps ‘normal’, l’élu sait sauver les apparences. En période électorale, par contre, tous les codes explosent. Tout est permis», reconnaît le radical vaudois Fathi Derder. Dans ces mois-là, il faut dire, l’élu n’a plus qu’une chose en tête. Et ce n’est pas le bien commun. Ni l’intérêt de l’Etat. Non, sa pomme. Sa réélection.

«D’abord parce que le désaveu blesse l’ego», confesse encore Derder. Et qu’ensuite on y joue un peu de sa peau. «Depuis que le système de milice est mort, les élus ont peur de la vie après la politique.» Surtout que certains avouent carrément ne rien savoir faire d’autre.

Bref, un parlementaire en campagne est quelqu’un occupé à mille choses sauf à sa mission, sauf à ce pourquoi il est payé. «Au mois de juin déjà, mon voisin de bureau des pas perdus passait ses journées à faire sa petite cuisine de campagne, imprimer ses tracts, son courrier», cafte pour finir le même Derder.

Parler de foire à bestiaux n’est pas exagéré. Car c’est aussi le moment, la campagne, où les diverses associations, lobbys et autres chapelles se mettent en tête de classer les parlementaires selon leur ardeur à défendre une vérité singulière. Rating, qu’ils disent.

Concocté par les différentes officines de défense de l’environnement, Ecorating distribue ainsi les bons et mauvais points en fonction du vote plus ou moins vert des élus durant la législature.

Qu’on retrouve les Verts au sommet de ce classement, rien que de très naturel. En revanche, il n’y a aucune fatalité, aucun lien de programme à effet qui expliquerait pourquoi figurent également au haut de cette échelle si particulière la plupart des socialistes. Et tout en queue, le bataillon presque entier des UDC, les Romands Amaudruz, Parmelin et Rime réussissant même l’exploit d’occuper les toutes dernières places, d’être les moins écologistes de tout le parlement

D’où peut bien venir cette hostilité démontrée à l’écologie chez les UDC? Il n’existe en effet strictement aucune corrélation entre leurs fondamentaux — leur haine de l’Europe, leur xénophobie souvent affichée mais rarement assumée, leur nationalisme auto-satisfait — et le rejet de toute politique en faveur de l’environnement. On peut bien être patriote obtus, détester le multiculturalisme, vomir Bruxelles, tout en se souciant sincèrement du réchauffement climatique, tout en redoutant le nucléaire et tout en militant contre la sixième extinction.

De la même façon, rien n’oblige dans le catéchisme socialiste, fondé avant tout sur l’idéal de justice sociale, à militer pour les énergies renouvelables, contre les centrales nucléaires, pour le rail contre la route, plutôt que l’inverse. Dans la pratique pourtant les votes des rouges demeurent toujours bien verts.

Il semble donc que les ratings des élus font ressortir surtout cette assez désolante vérité: avant d’être pragmatiques ou idéologiquement cohérents, les votes des parlementaires obéissent souvent à de simples réflexes militants auxquels leurs évangiles respectifs ne les obligeraient même pas.

On mesure dès lors le mérite modeste mais réel de l’électeur à glisser encore un bulletin dans l’urne après plusieurs mois d’un si gras régime campagnard.