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Magie de la formule magique

C’est devenu un passage obligé chaque quatre ans: attraper des migraines en se demandant s’il faut réélire Eveline Widmer-Schlumpf au Conseil fédéral. On a les interrogations qu’on mérite.

Pendant ce temps l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) multiplie les exigences perfectionnistes qui donneraient le droit à chacun, si l’envie lui en prenait, d’accueillir chez lui quelques migrants. Par exemple disposer d’une seconde salle de bains pour éviter d’éventuels heurts culturels. On connaissait le choc des civilisations, les guerres de religions, voici la bataille des ablutions. Pendant ce temps, aussi, nous en sommes à débattre, comme c’est désormais la tradition chaque quatre ans, de la réélection ou pas d’Eveline Widmer-Schlumpf (EWS) au Conseil fédéral. Magie de la formule magique.

L’affaire n’est pas simple. D’un point de vue mathématique d’abord. Certes sur le papier, c’est un peu l’UDC et les radicaux contre le reste du monde, du PS au PDC en passant par le PBD, les Verts et les Verts libéraux. Sauf, et les derniers exercices l’ont montré, qu’il se trouve toujours quelques dissidents radicaux pour ne pas vouloir d’un deuxième siège UDC au Conseil fédéral. Qu’à l’inverse dans le camp des pro-Schlumpf, les Verts libéraux présentent rarement un front uni sur la question et que du coulage est à prévoir de leur côté.

Evidemment les sondages ne sont guère favorables à la coalition qui roule pour Eveline. Le PS certes est annoncé en léger progrès, mais une sérieuse érosion semble promise au PDC, aux Verts, aux Verts libéraux, au PBD surtout — accessoirement le parti d’EWS mais cela ne compte pas, magie, on le redit, de la formule magique.

Tout le contraire pour l’armada droitière d’en face. Des vents en poupe sont annoncés pour l’UDC surtout et les radicaux un peu. Sauf que le pourcentage de voix obtenues ne garantit pas un nombre équivalent de sièges au parlement, les apparentements et sous-apparentements venant corriger la brutalité des chiffres. Magie, et migraine, de la formule magique.

Bref une sacrée bouteille à l’encre. Sauf pour le président du PS Christian Levrat, fin joueur d’échecs et tenace monsieur je-sais-tout. Lui claironne que le bloc de centre-gauche censé réélire EWS devrait arriver avec un minimum de sept sièges d’avance sur les casques à boulons UDC et radicaux, pour éviter toute mauvaise surprise.

D’un point de vu constitutionnel, ce n’est pas plus limpide. Le score attendu de l’UDC, entre 26 et 28%, qui en ferait à nouveau et largement le premier parti du pays, lui donne-t’il de facto le droit à un deuxième siège? On peut répondre un peu ce que l’on veut. Certains font valoir que ce droit découle surtout du profil de la personnalité appelée à siéger. Il faut qu’il soit acceptable, autrement dit dit UDC certes mais pas trop quand même. Le grison Heinz Brand semble ainsi convenir, dans la ligne du parti mais pas jusqu’à l’autisme. Un homme de dialogue, veut-on croire.

D’autres au contraire estiment que le bon bilan d’EWS devrait primer comme critère. Argument qu’à droite on retourne en un clin d’oeil. Eveline n’a pas démérité certes mais sa mission est accomplie, elle a négocié plus ou moins bien la fin du secret bancaire, a su gérer correctement les finances fédérales, merci et au revoir. A quoi il leur est rétorqué que OK, ce monsieur Brand est peut-être très propre sur lui, mais que ça ne suffit pas. Ce qui compte, ce serait la capacité de l’UDC à faire partie du gouvernement, sa volonté d’assurer un minimum de collégialité, à partager un minimum de points de vue. Blocher ainsi avait payé cash cette incapacité.

Enfin certains rappellent qu’aucun score, aussi bon soit-il, ne donne automatiquement accès au Conseil fédéral. Des positions extrêmes peuvent vous en exclure, ce fut longtemps le cas d’un PS qui avait le tort de prôner rien moins que la dictature du prolétariat. Reste à déterminer ce que l’UDC devrait abandonner pour recevoir son deuxième strapontin. Cela risquerait d’être ce qui fait justement ses succès électoraux — son ambivalente xénophobie, où se mêle autant de comédie que de paranoïa. Du coup, elle aurait ses deux sièges, mais moins d’électeurs, donc moins le droit de revendiquer un tel cadeau.

En attendant que l’on ait fini de tourner en rond, peut-être faudrait-il lancer un appel à la générosité du peuple. Quelqu’un serait-il prêt, au cas où, à accueillir chez lui Eveline Widmer-Schlumpf? Deuxième salle de bain obligatoire, évidemment.