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Miettes d’utopie

Un peuple repu s’intéresse rarement aux campagnes électorales. Heureusement que quelques idées folles, par bonheur irréalisables, viennent pimenter l’atmosphère.

On attendait un poète, doublé d’un compositeur, bref un artiste. Raté. C’est un économiste qui a remporté le concours du nouvel hymne national. Tout un symbole dans une Suisse plus calée en PIB chatoyant, en plein emploi, en franc fort et autre croissance virile qu’en humble créativité artistique. La paix et les coucous pour elle, la guerre et Michel-Ange pour le reste du monde, comme l’a presque dit Orson Welles.

Cela va tellement bien que, parait-il les Suisses n’arrivent pas à s’intéresser à la campagne électorale. Sans doute que les partis n’ont plus rien à vendre, puisque tout a déjà été acheté. Il y aurait bien la crise des migrants, mais la Confédération semble avoir réussi à ne pas se montrer trop attractive. Même l’UDC peine à fourguer des produits aussi alléchants que l’apocalypse migratoire, le retour des grandes invasions et le péril mahométan à nos portes.

Le contexte est si peu alarmant qu’un Suisse sur deux pourrait bien s’abstenir de voter. Tout cela suinte donc la satisfaction et le ventre plein, mais aussi, corollaire fatal, l’ennui le plus morose. Heureusement qu’il reste, ça et là, quelques miettes d’utopie. Cette utopie sans doute qui conduit, lorsqu’elle se réalise, aux pires catastrophes que l’humanité ait connues. Sauf que, pas de panique, on parle ici d’utopies n’ayant aucune chance de se concrétiser. Qui viennent juste pimenter l’ordinaire d’esprits ayant perdu toute occasion de vagabonder un peu.

Le revenu de base inconditionnel, par exemple, voilà une idée qu’elle est bonne. Un salaire mensuel et équivalent versé à chacun, à vie et sans contrepartie, par exemple 2500 francs. L’initiative qui le préconise n’a aucune chance devant le parlement, et encore moins devant le peuple. Mais on peut toujours en caresser les contours, en évoquer les douces perspectives, trouver même en sa faveur des arguments plus ou moins sérieux.

Ses partisans ne comptent d’ailleurs pas que des hurluberlus. On trouve notamment l’économiste — encore un! — Sergio Rossi, prof à l’université de Fribourg. Son constat est simple. L’automatisation et la mondialisation détruisant plus d’emplois qu’elles n’en créent, vaincre le chômage va devenir de plus en plus un objectif impossible à tenir. Le revenu universel et inconditionnel dans ces circonstances suppléerait efficacement la bureaucratie coûteuse et à bout de souffle des aides sociales actuelles.

Cette initiative est soutenue entre autres par le Parti pirate. Le seul parti qui semble ne se battre que sous la bannière d’idées utopiques promises à ne jamais advenir. C’est noble, c’est courageux. Ainsi le Parti pirate menace de lancer un referendum contre la nouvelle loi sur le renseignement que le parlement ne manquera pas d’approuver largement. Le Parti pirate veut se battre pour une protection absolue des données, défendre la sphère privée comme d’autres le Saint-Sacrement. Le Parti pirate en somme ne voudrait réserver la piraterie qu’aux seuls pirates, la flibuste qu’aux flibustiers, le mal qu’aux seuls méchants.

Le Parti pirate se prononce aussi en faveur de la légalisation du cannabis. Certes certains pays comme l’Uruguay ou certains Etats américains ont déjà franchi le pas. Parions toutefois que la Suisse sera un des derniers à y venir, si elle y vient jamais. Ce n’est en tout cas pas demain la veille que chez nous, comme en Uruguay, un paysan mal dégrossi roulant dans une Volkswagen pourrie dirigera le pays.

Rien de bien grave, puisqu’il est souvent plus profitable de rêver de telles choses que de les accomplir, c’est le principe même de l’utopie. Vice-président du Parti pirate au niveau suisse et candidat au Conseil national et au Conseil des Etats, Guillaume Saouli se désole de manquer de moyens pour faire campagne efficacement sur le terrain. «Il faut que nous nous détournions de nos écrans pour toucher les gens au-delà du numérique, dans la vraie vie.» Surtout pas, malheureux.