GLOCAL

Barbouzes et barbus

Là où à gauche on craint le retour de l’Etat fouineur, à droite on s’alarme de lieux cultes musulmans. Et chacun de ne plus suivre que les diktats de cette trop célèbre conseillère: la peur.

La Suisse fait peur. Oui, oui, oui. Engoncée peut-être dans une campagne électorale que chacun, comme à l’accoutumée s’empresse de qualifier de «morne». Mais réussissant à inquiéter au moins Niels Muizneks.

Pas n’importe qui. Tout de même commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Et letton. Par ailleurs docteur en philosophie, spécialiste de la lutte contre les discriminations, et du droit des minorités — femmes, Roms et enfants compris, c’est sa notice Wikipedia qui souligne.

De quoi a peur Niels Muizneks? De la LRens, autrement dit la nouvelle loi sur le renseignement fraîchement adoptée par les Chambres et déjà attaquée via un referendum rose-vert-pirate. M. Muizneks lui, en tremble, il l’a dit dans une lettre adressée au président du Conseil national Stéphane Rossini ainsi qu’au Conseiller fédéral Ueli Maurer, évoquant «une menace sérieuse sur le droit au respect de la vie privée.»

Venant du citoyen d’un pays qui a passé 45 noires et étouffantes années sous le joug soviétique, l’avertissement peut sembler crédible. Surtout que le futur commissaire avait 25 ans au moment de l’effondrement du rideau de fer. Le KGB, pourrait-on penser, il a grandi avec et a pu éprouver dans sa chair ce qu’ «atteinte à la sphère privée» veut réellement dire.

Sauf que non, Muizneks est né aux Etats-Unis. Ses diplômes, il les a obtenus à Berkeley et Princeton. Ses hantises seraient-elles alors plutôt nées à force de côtoyer la CIA et la NSA, les grandes et redoutées oreilles du si méchant Oncle Sam?

Toujours est-il que Niels le Letton trouve que «l’exploration du réseau câblé par le Service de renseignement» suisse, qu’autorise la nouvelle loi, pourrait conduire à de véritables catastrophes. Du genre «collecte massive de données», si pas «climat social où toute personne serait perçue comme étant potentiellement suspecte». On peut bien penser ce que l’on veut de cette LRens. Imaginer pourtant qu’elle nous mène tout droit vers une Suisse orwellienne pourrait relever de la méconnaissance, ou de l’aveuglement idéologique. Ou des deux.

C’est évidemment l’UDC, qui n’adore rien tant que recevoir des leçons de maintien des instances européennes, qui a réagi le plus vigoureusement. Par la voix du conseiller national Thomas Hurter, trouvant «regrettable que des organisations critiquent une loi qu’elles n’ont évidemment pas lues.»

Sauf qu’au petit jeu consistant à voir et grossir des menaces partout, l’UDC n’est pas manche non plus. Elle qui multiplie, à l’instar de sa section valaisanne, les attaques contre des lieux de prières ou des centres culturels musulmans, installés dans des locaux réaffectés, notamment d’anciens cafés, comme à Martigny.

Là où certains croient voir des barbouzes partout, ce sont des barbus que d’autres distinguent tapis à chaque coin de rue. Dans les deux cas, la trouille, le fantasme. «On a le droit de supposer que cette mosquée peut potentiellement devenir un foyer de radicalisation» lance ainsi le président de l’UDC valaisanne Jérôme Desmeules. Bien sûr. On a le doit de tout imaginer. Y compris la fin du monde pour demain matin.

Au hasard d’une lecture du moment, ces mots d’un assassin fameux, Gary Gilmore, fusillé en 1977, après qu’il eut réclamé à grand cris son exécution et dont Norman Mailer a tiré un roman fleuve, le Chant du Bourreau: «J’ai trouvé quand même pas mal de vérités. Le courage est une Vérité. Dominer la peur est une vérité.»

Le courage d’accueillir par exemple, comme celui de surveiller. Nous en sommes là: nous manquons tant de convictions que la pauvre morale d’un meurtrier peut paraître soudain éclatante.