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Les justiciers qu’on mérite

Difficile de s’enthousiasmer pour des lanceurs d’alerte dans le genre d’Eric Stauffer ou Hervé Falciani. L’impression pourtant demeure d’un système politico-judiciaire sans vraies priorités ni courage.

On ne peut pas dire qu’on rêverait de partir en vacances avec eux. Qu’ils respirent le savoir-vivre et la délicatesse. On ne jurerait pas non plus que leurs intentions soient aussi pures qu’ils le proclament à hauts cris. N’empêche, cela fait toujours un peu drôle de voir des justiciers — certes autoproclamés — harcelés par la justice.

On dira qu’Eric Stauffer comme Hervé Falciani, dans leur enthousiasme à laver plus blanc que blanc, à dénoncer l’un le trafic de drogue, l’autre l’évasion fiscale organisée, l’ont un peu cherché. «A aucun moment, je n’ai imaginé qu’on se mettait en infraction avec la loi en permettant l’arrestation et la condamnation d’un trafiquant. Pour moi, c’était et c’est toujours inconcevable», s’est ainsi défendu Stauffer. Il aurait pourtant du le savoir: faire acheter de la cocaïne par un comparse, filmer la transaction et prévenir la police, cela ne se fait pas.

Stauffer a sans doute oublié que la police préfère choisir elle-même ses informateurs et appointer ses auxiliaires. A moins qu’il ne se soit laissé abuser par cette espèce d’aura universelle qui entoure les balances de haut vol — vol, il y a d’ailleurs eu à chaque fois — que sont les Snowden et autres Assange. Qu’on a beau, ces supermen, ne plus les appeler «balances», mais désormais «lanceurs d’alertes», ils n’en ont pas moins eux aussi la justice et quelques barbouzes aux fesses.

Certes Stauffer et son jeune complice n’ont pas été condamnés au bagne puisque le ministère public leur a infligé 30 et 45 jours-amendes avec sursis, pour infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants. Reste que l’argument du procureur réfutant «l’utilité sociale» invoquée par Stauffer pour justifier son geste, paraît peu sérieux. Il souligne en effet que l’intention réelle du fondateur du MCG n’a pas été de lutter contre le marché de la drogue, mais de se livrer à un exercice de propagande politique. Sans doute pas faux. Sauf que les indics agréés par la police n’agissent jamais pour faire baisser la criminalité, mais toujours dans leur strict intérêt personnel, sous forme de rémunération ou d’indulgences.

C’est aussi toute la question qui se pose au procès d’Hervé Falciani tenu en son absence à Bellinzone. L’ancien employé de la banque HSBC a-t-il tenté de monnayer les données dérobées de clients cherchant à fuir le fisc de leurs pays respectifs? L’accusation dit que oui, la défense que non. Comme si cela changeait quelque chose au phénomène de l’évasion fiscale favorisée par les banques. Voler son employeur, certes cela n’est pas bien ni beau. Que Falciani ait été un manipulateur véreux, comme l’affirme son ancienne maîtresse — on a vu mieux comme témoin impartial –, à la rigueur on s’en contrefiche.

L’essentiel n’est-il pas ailleurs? Dans la lutte contre le blanchiment d’argent par exemple. Il est significatif à cet égard que pendant que se déroulait le procès de Falciani, le Conseil fédéral, devant l’hostilité du parlement, retirait son projet de révision du droit fiscal pénal. Lequel aurait permis notamment de mieux traquer les fraudeurs du fisc en autorisant, sous conditions, une levée du secret bancaire.

Ceux du moins qui disent à journées faites leur crainte de voir un état policier se mettre peu à peu en place, pourront trouver dans ces deux affaires matière à consolation. Puisqu’il semblerait que même les banquiers indélicats et les trafiquants de drogue n’aient pas trop à craindre d’un système plus acharné à traquer d’abord leurs dénonciateurs.