LATITUDES

Le petit cimetière du Docteur Marsh

Avouer ou taire les erreurs médicales? Le Dr Marsh a opté pour l’aveu. Les confessions de ce neurochirurgien s’arrachent en librairie alors que la première émission de «chirurgie réalité» a captivé des millions de téléspectateurs.

Accusé d’homicide par négligence après le décès d’un patient, le Dr N., ex-chirurgien de l’Hôpital de la Broye, vient d’être condamné par le Tribunal d’Yverdon. Il a toujours nié avoir commis une erreur. Sans être poursuivi par la justice, un de ses collègues britanniques a cru bon de lister les siennes. Ses confessions figurent parmi les bestsellers en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en Allemagne. Après «Le charme discret de l’intestin», toujours sur les rayons des librairies, voici qu’un autre sujet médical rencontre un succès de taille en familiarisant le grand public avec la réalité du bloc opératoire.

Les docteurs N. et Marsh illustrent deux attitudes diamétralement opposées face aux accidents de parcours propres à une profession particulièrement exposée: la chirurgie. «Tout chirurgien porte en lui un petit cimetière dans lequel il va de temps en temps faire oraison. Cimetière d’amertume et d’hysope, auquel il demande la raison de certains de ses insuccès», cette citation du chirurgien français René Leriche figure en exergue au récit d’Henry Marsh, intitulé «Do No Harm: Stories of Life, Death and Brain Surgery» (Weidenfeld&Nicholson).

A 65 ans, le célèbre neurochirurgien a déjà opéré quelque 8000 cerveaux. Chaque fois, paralysie, coma ou mort pouvaient être au rendez-vous. Et ils l’ont été. Ainsi, lors d’une opération très longue et délicate, Marsh sectionne accidentellement une artère. Le patient ne meurt pas. Il est depuis sept ans dans le coma. Ce jour-là, l’équipe chirurgicale écoutait de la musique, du Chuck Berry, B.B. King et d’autres morceaux de rock. «Depuis, je ne supporte plus d’écouter de la musique en opérant», confie l’auteur.

L’ouvrage composé de vingt-cinq chapitres, autant de pathologies neurologiques. De «pineozytome» à «anaesthesia dolorosa» en passant par «angor animi», «glioblastome» et «tyrosinkinase», des récits palpitants se succèdent. Autant de prises de risques qui transformeront le chirurgien en héros ou en «criminel» attaqué en justice.

Ouvrir un crâne, c’est découvrir «une masse aux allures de gelée blanche ici, de toit de cathédrale là. (…) Ce que nous pensons et ressentons relève de l’électrochimie. (…) Nous sommes ce qu’est notre cerveau et lorsque notre cerveau meurt, nous mourons», affirme Marsh. «On ne peut pas faire un travail aussi périlleux en pensant constamment aux dangers qui nous guettent. Il s’agit d’être optimiste et de s’illusionner soi-même. On ne peut pas devenir neurochirurgien sans porter des œillères», admet-il.

Ses recettes pour éviter des erreurs? Ne jamais prendre de décision dans la précipitation et partager son questionnement avec ses collègues. Si l’erreur survient, commencer par l’admettre, sans quoi on n’en tirera aucune leçon. Se consoler en se rappelant que l’on n’apprend rien du succès et se disculper en sachant que l’erreur est humaine. Puis, il importe d’expliquer clairement à la famille ce qui s’est passé. Les nombreuses pages qui relatent cette démarche douloureuse sont les plus touchantes car rédigées avec beaucoup d’humilité de de sensibilité.

Le corps médical tente de limiter les erreurs par diverses mesures: introduction de check- listes qui s’inspirent de la méthode de travail des pilotes d’avion, interdiction de portables autour des tables d’opération, entraînement sur des simulateurs. Il est trop tôt pour mesurer leur impact.

Parce qu’humains, les docteurs N., Marsh et leurs collègues ont commis et commettront des erreurs. Mais quid de Rosa, Carlo, Da Vinci, Neuromate ou tout autre robot qui les assistent aujourd’hui et les remplaceront demain? Seront-ils infaillibles? Rosa, le robot star de la société Medtech est capable, selon ses concepteurs, de localiser une tumeur au millimètre près et de guider l’aiguille du chirurgien sur la trajectoire optimale. Bertin Nahum, le patron de la société française confie: «Ce qui m’anime, c’est la conviction que la robotique révolutionne et révolutionnera la chirurgie». Une conviction que partage Google qui souhaite marquer de son empreinte cette «révolution». Avec le groupe pharmaceutique Johnson & Johnson, la société va créer une plateforme de chirurgie assistée par la robotique.

Les interventions sur le cerveau, l’organe siège de nos pensées et de nos rêves, ont un indéniable potentiel médiatique. Pas étonnant que la «chirurgie réalité» voie le jour. La chaîne de TV National Geographic Channel a proposé, le 25 octobre dernier, la première intervention chirurgicale «live» sur le cerveau. Elle consistait en une stimulation cérébrale profonde pour mettre fin au tremblement d’un patient parkinsonien. Elle s’est bien déroulée. A quand la première émission de «Brain Surgery Live» avec une erreur commise sous les yeux de millions de téléspectateurs?