GLOCAL

Le désert de Gobbi

La candidature du légiste tessinois au Conseil fédéral s’apparente à une farce cousue de fil blanc. L’homme pourtant mérite le détour.

A l’heure où le Rivella et le Toblerone pourraient perdre leur caractère typiquement suisse — lois impitoyables de l’OMC obligent — , où la sénatrice Géraldine Savary avoue réciter sous la douche et dans le texte des poèmes de Pouchkine et de Mandelstam, pourquoi pas un légiste au Conseil fédéral? Tant qu’on y est.

C’est le dernier gag de l’infatigable boute-en-train Toni Brunner, qui dit en effet voir d’un bon oeil Norman Gobbi figurer sur le ticket UDC pour la bataille du 9 décembre. Président du gouvernement tessinois et ancien président du HC Ambri, conseiller national à 32 ans, conseiller d’Etat à 34, l’homme, avocat de formation, en tout cas est déjà adoubé par la section tessinoise.

Brunner joue sur du velours: les centristes et la gauche voulaient une candidature latine, ils risquent d’être doublement servis. Même si, comme le relève une parlementaire dans le 24heures, tout cela semble cousu de mauvais fil blanc et cacher à peine une tentative de l’UDC «d’affaiblir les candidatures latines pour faire élire au final un Toni Brunner ou un Heinz Brand».

Quand Toni Brunner pourtant dit que Gobbi est tout à fait dans la ligne de l’UDC, sous entendue la vraie, la seule, la blochéro-blochérienne, difficile de lui donner franchement tort. Le grassouillet tessinois n’est-il pas chaudement partisan de la construction d’un «mur» entre son canton et cette Italie d’où fourmillent des milliers de frontaliers méchamment concurrentiels? Auxquels sous son impulsion le gouvernement réclame désormais un extrait de casier judiciaire. Mesure que Gobbi justifie en expliquant qu’au Tessin «les attaques à main armée et autres genre de délits sont plus souvent le fait de frontaliers ou d’Italiens détenteurs d’un permis B». Mesure aussi que la Confédération juge illégale. Mais Gobbi s’en tamponne, souveraineté cantonale oblige. Au risque de transformer le Tessin en un désert propre en ordre?

Norman le redoutable, comme il est parfois surnommé, pousse le mimétisme jusqu’à compter dans son curriculum l’indispensable petit dérapage politiquement incorrect : avoir traité de «nègre» un joueur de couleur du HC Lugano. Mais bon, venant d’un président d’Ambri-Piotta et dans le contexte d’une rivalité hockeyeuse tessinoise exacerbée depuis des décennies, on peut soupçonner qu’il s’agit-là plutôt d’une manifestation d’anti-luganisme primaire plutôt que de racisme ordinaire.

Sur l’ami Gobbi, les avis restent pourtant partagés: «Un casseur», dit aimablement son compatriote et ancien procureur général Paolo Bernasconi. «Un homme sympathique» assure au contraire le président du PDC, Christophe Darbellay qui ne voit dans le légiste guère qu’un défaut vraiment rédhibitoire: venir d’un parti encore plus «microscopique» que ne l’était le PBD d’Eveline Widmer Schlumpf. Tout ça pour ça, donc.

Comme conseiller d’Etat, Gobbi se targue d’avoir fait «reculer la criminalité transfrontalière et rendu la police plus visible et plus efficace». Pour lui la sortie de Schengen et de Dublin «c’est une option».

Enfin même s’il en est membre depuis l’âge de 15 ans, lui qui vient pourtant d’une famille radicale de la Levantine, Gobbi fait partie de l’aile pragmatique et modérée de la Lega. Si par modéré et pragmatique on entend moins provocateur et grossier, plus présentable et gouvernemental que le père fondateur Bignasca.
Gobbi l’a prouvé largement au Conseil d’Etat tessinois. «Sa candidature est soutenue par des acteurs économiques très importants de notre canton» assure d’ailleurs le président de l’UDC tessinoise Gabriele Pinoja. «C’est un train qu’on ne peut pas laisser passer» répète de son côté la Lega. Bref tant pis si l’opération s’apparente à une sorte de farce, il s’agit au moins de n’avoir pas de regret.

Histoire de n’avoir au moins pas à clamer comme Mandelstam dans ces vers qui ne sont sans doute pas ceux que Géraldine Savary chantonne sous sa douche: «Cette vie sans queue ni tête, je l’ai salie comme un mollah son Coran».