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«Les seniors ne souhaitent pas être traités en tant que tels par les entreprises»

Le vieillissement de la population fait naître des comportements de consommation inédits et favorise l’essor de nouveaux marchés. Explications de Florian Kohlbacher, auteur d’un ouvrage de référence sur le sujet.

Au Japon, les personnes âgées cumulent déjà plus de la moitié du revenu net. Avec le départ à la retraite de la génération du baby-boom dans les pays occidentaux industrialisés, l’Europe peut s’attendre à un phénomène comparable. Une évolution qui ouvre de nouvelles perspectives pour les entreprises, selon Florian Kohlbacher, professeur de marketing et d’innovation à l’Ecole de commerce international de Suzhou, en Chine. Reste que les entreprises ont encore des difficultés à considérer les seniors comme un segment cible. Interview.

A quel âge devient-on senior?
Dans le secteur de la recherche, le terme «senior» est pris au sens large: il est défini comme la population âgée de 50 ans ou plus. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), quant à elle, fait commencer la séniorité à partir de 65 ans. En marketing, on définit les groupes cibles très précisément: on distingue les «+ de 55 ans», les «+ de 65 ans» et les «+ de 75 ans». Cependant, j’explique souvent aux entreprises que cette segmentation par tranches d’âge n’est généralement pas représentative. Pour mieux coller à la réalité, il faudrait privilégier des critères de personnalité.

Comment décririez-vous les habitudes de consommation des seniors?
Il est difficile d’évaluer de manière générale le comportement de consommation des seniors car il ne s’agit pas d’un groupe homogène. Tant que la santé ne se dégrade pas, les gens ne se sentent pas «vieux» et ne se différencient pas nécessairement des plus jeunes dans leurs habitudes de consommation. Il existe des critères de différenciation plus poussés comme le contexte social, ainsi que la question de savoir si la personne est active et sort souvent de chez elle pour rencontrer des gens. De plus, certains seniors ne partent pas à la retraite et continuent d’exercer une activité professionnelle jusqu’à un âge avancé.

De nombreuses personnes âgées ne souhaitent pas être catégorisées comme «seniors» et veulent acheter des produits normaux. Comment expliquer ce phénomène?
Il faut tenir compte de la différence entre l’âge physiologique et l’âge psychologique, qui reflète le ressenti de la personne. Il est intéressant de constater que les quinquagénaires s’identifient à des gens plus jeunes de dix ans en moyenne. La santé joue d’ailleurs un rôle important sur ce point: les quinquagénaires qui ont des problèmes de santé se sentent en effet plus âgés. Outre la santé, le statut financier influence également grandement l’âge psychologique: plus ce statut est élevé, plus l’on se sent jeune.

Pourtant, le comportement de consommation n’est pas déterminé uniquement par l’âge…
C’est exact. Il est également influencé par ce qu’on appelle les effets de cohorte. Cela signifie que quelqu’un qui a 60 ans aujourd’hui ne consommera pas de la même manière que quelqu’un qui avait 60 ans il y a 30 ans. Cela dépend des valeurs et des conventions développées par la génération concernée.

Le point commun des seniors est l’expérience. Ils ont accompli un certain nombre de choses au cours de leur vie et ont généralement atteint un certain statut financier. En tant que consommateurs, ils sont très exigeants et, en règle générale, disposés à payer pour un produit de qualité.

Quand les entreprises ont-elles commencé à considérer les seniors comme un segment cible à part entière?
Dès la fin des années 1970 et le début des années 1980, aux Etats-Unis, des entreprises ont commencé à s’intéresser au vieillissement des baby-boomers, cette génération née après la Seconde Guerre mondiale. Ceux-ci n’étaient pas bien vieux à l’époque, mais pour la première fois, on prenait conscience du vieillissement imminent d’une partie très importante de la population.

Toutefois, le phénomène a été assez ponctuel. Ce n’est que depuis dix ou quinze ans, c’est-à-dire à l’époque où les baby-boomers ont commencé à partir à la retraite, que les entreprises ont réellement commencé à s’intéresser aux quinquagénaires. Contrairement aux générations précédentes, il s’agit d’un segment cible ayant une espérance de vie élevée et disposant d’un pouvoir d’achat important.


Qu’est-ce qui distingue les baby-boomers?

Les baby-boomers sont marqués par l’essor économique de l’après-guerre dans l’ensemble des pays industrialisés. Il s’agit par conséquent d’une génération qui n’a pas eu à s’inquiéter pour sa survie, à l’exception des premières années de l’après-guerre. Les baby-boomers sont habitués à partir en vacances, à avoir du temps libre et à vivre dans une certaine prospérité.

Quels marchés se sont tournés vers les seniors au cours des dernières années?
Depuis plusieurs décennies déjà, il existe un «silver market», qui concerne surtout les secteurs médical et pharmaceutique. Ce marché propose des produits et services résolvant les problèmes amenés par le vieillissement. Au cours des 10 à 15 dernières années, un nouveau marché axé sur le mode de vie des seniors s’est développé. Il comprend entre autres le tourisme et la technologie.

Quelles entreprises sont particulièrement actives dans ce domaine?
La société japonaise Fujitsu a fait œuvre de pionnière avec ses téléphones portables adaptés aux seniors. Depuis, ils ont été déclinés en smartphones et sont également vendus en Europe. Un autre exemple est l’entreprise autrichienne Emporia, qui produit également des portables pour les seniors. Ce qui est le plus étonnant, c’est le petit nombre d’entreprises qui se concentrent sur ce segment cible malgré le vieillissement de la population.

Comment expliquer cette retenue?
Les managers sont encore dans l’incertitude quant à la manière dont il convient de traiter ce changement démographique. A cela s’ajoute le problème de l’horizon temporel: les entreprises ont le sentiment que le vrai changement démographique est encore à venir. Dès lors, elles reportent à plus tard toute stratégie visant à tirer profit d’un marché engendré par ce changement qu’elles ne perçoivent pas comme immédiat.

A quoi les entreprises doivent-elles prendre garde en s’adressant aux seniors?
De manière générale, les entreprises doivent éviter de qualifier des produits et services comme étant «pour les seniors» car cela peut repousser les clients les plus âgés comme les plus jeunes. Le secteur de la mode, où les mots-clés sont la tendance et la jeunesse, montre bien à quel point cette question est sensible.

Quels domaines deviendront intéressants pour les seniors dans le futur?
Pour les seniors, les marchés du futur sont ceux qui visent à améliorer et à simplifier leur vie. Dans le domaine de la santé et de la médecine, le préventif remplace le palliatif en tant que point focal. Ainsi, il existe de nombreuses applications mobiles permettant de surveiller chez soi, et de manière de plus en plus poussée, son propre état de santé.

Le commerce électronique se tournera également vers les seniors. En effet, il est très important pour ces derniers de pouvoir vivre en autonomie, sans dépendance vis-à-vis d’une aide à domicile ou de leur famille. Les services rendant une telle autonomie possible ont donc un potentiel important. Un autre marché prometteur s’ouvre pour les produits financiers: avec l’augmentation de l’espérance de vie, les gens recherchent davantage d’opportunités d’investissement intéressantes.
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BIOGRAPHIE

Florian Kohlbacher est professeur de marketing et d’innovation à l’Ecole de commerce international de Suzhou, en Chine. Auparavant, il a étudié et fait de la recherche au Japon durant une dizaine d’années, dont huit ans à l’Institut allemand des études japonaises à Tokyo.

Dans ses travaux, il aborde notamment la question du positionnement des entreprises vis-à-vis du changement démographique. Dans ce cadre, il a publié en 2008 le livre «The Silver Market Phenomenon. Business Opportunities in an Era of Demographic Change» (éd. Springer;
2e édition 2011).
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no 5).