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Quand les employés harcèlent leur chef

Les dirigeants de PME peuvent aussi être victimes de mobbing, un phénomène appelé «bossing». Face aux résistances, moqueries répétées ou consignes ignorées par les subordonnés, cadres et patrons se trouvent souvent démunis.

Cela a commencé par des courriers signés par un collaborateur, qu’il retrouvait sur son bureau. André*, le destinataire, ne trouvait rien d’explicitement injurieux dans leur contenu. Ce cadre vaudois dans l’administration décrit ces lettres comme de longues réflexions sur l’organisation du travail, les moyens à disposition et les possibilités d’engagement de nouveaux collaborateurs. Pourtant, ces nombreux messages — jusqu’à cinq par jour — affectent moralement le chef de service. A tel point qu’il finit par craindre d’entrer dans son propre bureau. «J’avais peur de trouver de nouveaux courriers, explique-t-il. Ces constantes récriminations de la part de l’un des membres de mon équipe m’angoissaient, d’autant plus que j’étais incapable d’y répondre par mes propres moyens. Je ressentais même un profond sentiment de culpabilité.»

Cet exemple illustre l’une des nombreuses formes que peut prendre le harcèlement d’un supérieur par un employé. «Oublier» de fournir des documents de travail, couper la parole, feindre l’ignorance ou moquer ostensiblement sont autant d’autres comportements qui peuvent perturber un dirigeant jusqu’à l’empêcher de faire son travail. Baptisé «bossing» ou «harcèlement vertical ascendant», cette pratique s’assimile à du mobbing. «Il ne s’agit pas toujours d’attaques claires et directes, mais d’une quantité d’attitudes malsaines, comme lever les yeux au ciel ou soupirer qui, distillées régulièrement dès le lundi matin à 8 heures, peuvent saper le moral pour le reste de la semaine», explique Angelo Vicario, directeur du cabinet de conseil en ressources humaines cialis quick delivery.

«Dans le cas d’André, le subordonné utilise une procédure normale dans une entreprise — écrire à son supérieur en cas de mécontentement — mais l’amplifie au point de la rendre aberrante, ajoute Marc Rosset, médiateur et cofondateur de la plateforme levitra vs cialis cost, qui regroupe plusieurs professionnels luttant contre les risques psychosociaux en entreprise. En peu de temps le cadre est déstabilisé. Il s’engouffre dans le piège qu’on lui tend et, progressivement, se retrouve dans l’impossible de faire son travail.»

Les conséquences psychologiques sur la victime peuvent prendre une dimension alarmante: doutes, lassitude, irritabilité, fatigue extrême, qui conduisent dans certains cas à l’épuisement nerveux et à l’effondrement psychique. «Une telle situation constitue un stress qui monopolise le quotidien, explique Angelo Vicario. Les personnes concernées disent qu’elles n’en peuvent plus, qu’elles y pensent tout le temps, même le soir et le week-end.»

Un phénomène peu reconnu

Pour l’instant, peu de données officielles existent sur le bossing, un phénomène encore peu connu. Le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) estime à 1% la part des responsables harcelés par leurs employés au sein de la population active en Suisse, sur la base d’une enquête sur le harcèlement menée en 2002. Ce chiffre serait en réalité plus important car, en 2002, la notion de harcèlement vertical ascendant n’était pas encore thématisée. «Au départ, le terme ‘mobbing’ était utilisé uniquement pour qualifier les conflits entre salariés dans le domaine des soins, souligne Maggie Graf, directrice de la section Travail et santé du Seco. Il a fallu dix ans pour que la doctrine, la jurisprudence et les experts précisent cette notion, qui n’a toujours pas de définition communément admise. Pour ce qui est du harcèlement vertical ascendant, nous ne sommes qu’au début de ce processus.»

Pour Rémy Wyler, avocat spécialisé dans le droit du travail à Lausanne, un «profil type» de victime de bossing n’existe pas: «J’ai vu des gens très solides poussés à bout.» Il remarque cependant que «les risques de conflits augmentent quand les tâches et les cahiers des charges des uns et des autres ne sont pas bien définis, car cela crée des ambiguïtés ou des incompréhensions». Angelo Vicario observe que les cadres intermédiaires sont les plus sujets au harcèlement ascendant. «Un patron de PME dispose d’une marge de manœuvre pour se séparer d’un collaborateur alors qu’un cadre intermédiaire, dans une structure très hiérarchisée ou administrative, n’a pas cette possibilité.»

Quant au harcèlement, il peut être le fait de collaborateurs qui ont postulé sans succès pour une autre position dans la société ou d’anciens responsables déclassés. «Dans tous les cas, il faut réagir pour qu’il ne devienne pas une habitude dans l’entreprise, ajoute le conseiller en ressources humaines Angelo Vicario. Si le harcèlement perdure, c’est que le système le permet. Dans ce type de situations, je suis sceptique quant à la possibilité de résoudre le conflit.»

Double fardeau

Souvent, les victimes de bossing ne savent pas comment réagir pour remédier à la situation. «Il est très délicat pour un cadre d’appeler à l’aide. Si son entreprise l’a engagé c’est, entre autres, pour résoudre les problèmes, constate le médiateur Marc Rosset. Se plaindre risque de passer pour un aveu de faiblesse.» Face à des employés qui les harcèlent, les dirigeants ne savent donc pas vers qui se tourner. «La plupart des personnes qui évoquent des cas de bossing se retrouvent avec ce double fardeau: vivre une situation dégradante et se sentir coupables de la situation, car elles ont l’impression qu’elles ne savent pas la gérer», confirme Angelo Vicario.

Lorsqu’il voit son autorité non respectée, le dirigeant essaie en général de résoudre la situation lui-même. L’un des premiers réflexes est de convoquer le subordonné en entretien. Une erreur, selon Marc Rosset. «Convoquer l’autre peut renforcer ses actes, car lorsque l’on pointe une responsabilité, on met la personne dans une position de défense». Accusé, le harceleur se placera en victime. Et n’hésitera pas à brandir la même arme. «Il est extrêmement fréquent de recevoir deux plaintes de harcèlement en même temps, témoigne le médiateur. Les personnes concernées ont chacune le sentiment d’avoir été malmenées.»

Le recours à un enquêteur

Quelle que soit la structure de l’entreprise, le plus important reste «d’éviter que la personne qui se dit victime soit celle qui gère ou diligente l’enquête, note l’avocat Rémy Wyler. L’idéal est de transférer le problème à un niveau hiérarchique supérieur. L’enquêteur doit posséder le recul et l’indépendance nécessaires pour traiter le dossier. Si ce n’est pas le cas, ou que la victime est le patron de l’entreprise, il faut faire appel à un enquêteur externe.» Ce dernier se chargera d’écouter les deux parties ainsi que les témoins, et de passer en revue les preuves présentées, emails et sms inclus. «L’investigation débouche sur un rapport qui a pour but d’éclaircir les faits. Un expert saura distinguer le simple signalement de lacunes managériales du fait de pousser à bout la personne par des remarques et critiques incessantes.»

Selon Rémy Wyler, l’entreprise a tout intérêt à diligenter une enquête, même si le procédé a un coût pour l’employeur. «Si le harcèlement n’est pas fondé, cela montre que l’entreprise tient compte de la personnalité de ses employés et prend les accusations au sérieux. S’il est fondé, l’employeur dispose de nombreuses options pour réagir.» Celles-ci peuvent prendre la forme d’instructions demandant à l’employé de modifier son comportement ou de médiation pour concilier les personnes en conflit, et aller jusqu’au licenciement du harceleur.

Dans tous les cas, le bossing est une forme de harcèlement qu’il faut prendre au sérieux. C’est aussi l’occasion pour l’entreprise de faire le point sur la qualité de sa communication en interne. «Beaucoup de conflits ont trait au manque de dialogue, note Marc Rosset, de la plateforme crises.ch. Or la force d’une entreprise se mesure aussi dans la qualité de sa communication interne. Des réunions brèves mais régulières permettent d’éviter nombre d’ambiguïtés et d’atténuer les tensions.»

* Nom connu de la rédaction
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ENCADRE

Ce que dit la loi

C’est la répétition d’agissements hostiles ayant pour but délibéré d’«isoler, marginaliser, ou exclure» qui caractérise le harcèlement au travail, selon la jurisprudence du Tribunal Fédéral, et ce quel que soit le niveau hiérarchique du collaborateur visé. Pour le prouver, une enquête indépendante est nécessaire. Au niveau civil, elle permettra à l’employé d’obtenir réparation de l’employeur, qui est tenu de veiller à la protection de sa personnalité, selon l’article 328 du Code des obligations.

Pour un patron de PME, il est plus courant de se défaire d’un salarié que d’entamer une procédure judiciaire. Si l’entreprise a invité son employé à changer son comportement et que cette démarche n’a pas eu de résultat, le licenciement n’est pas abusif. «En présence d’un simple conflit interpersonnel, on ne peut pas mettre quelqu’un à la porte sans avoir préalablement tenté d’y remédier, remarque l’avocat Rémy Wyler. Mais l’absence de toute forme de politesse, le caractère brusque des remarques ou l’absence d’égards dépasse le seuil de manque de compétences dans la communication et concerne davantage la volonté de nuire.»

Faire des remarques quant au comportement ou à la personnalité d’un subordonné s’avère parfois délicat, mais reste accepté par la jurisprudence, tant que l’identité, c’est-à-dire la culture, la langue, la religion, la couleur de peau n’est pas remise en question, note Olivia Guyot Unger, directrice du Service d’assistance juridique et conseil pour la Fédération des Entreprises Romandes à Genève.
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TEMOIGNAGE

«Mon statut n’était pas reconnu»

Attachée de direction dans une organisation à but non lucratif, Alexandra* a été harcelée pendant plus de 18 mois par trois employées. Une situation qui l’a poussée à la dépression.

«Quand j’ai accédé à mon poste d’attachée de direction, ma fonction et mon cahier des charges ont été clairement expliqués à toute l’équipe administrative, constituée de trois femmes, âgées de dix à vingt ans de plus que moi. Mais très rapidement, l’une d’elles m’a prise en grippe. J’ai remarqué tout de suite que quelque chose n’allait pas: elle me jetait des regards noirs, m’évinçait de tout. Des appels et des documents qui m’étaient destinés ne m’étaient pas transmis, malgré mes demandes. Au départ, j’ai estimé qu’il s’agissait de petits événements sans gravité. Mais lorsqu’ils se sont accumulés, cela a déclenché un sentiment d’illégitimité, comme si je n’étais pas reconnue dans mon statut.

J’ai essayé de discuter avec mon employée, sans succès. Quoi que je fasse ou dise était mal interprété. La situation s’est lentement dégradée: l’employée s’est enfermée dans une spirale négative, et y a entraîné ses deux collègues. Je n’osais plus communiquer car j’avais peur et savais que toute action de ma part serait retournée contre moi, que cette personne trouverait toujours un moyen de se présenter comme victime aux yeux des autres. J’ai donc encaissé les petites remarques dégradantes et les comportements d’évitement. J’étais mal-à-l’aise, mais je me disais que c’était normal lors d’une prise de poste, qu’il fallait tenir encore six mois… L’employée en question a fini par être licenciée à la demande du comité de l’association en raison de fautes professionnelles. Son départ a été très violent et a nécessité l’intermédiaire d’avocats. De mon côté, j’ai craqué: la tension nerveuse au quotidien était trop forte, j’ai souffert d’une dépression qui a provoqué un arrêt de travail de deux mois.

A mon retour, les deux autres employées ont poursuivi cette attitude de dénigrement et l’une d’elle est allée jusqu’à m’intimider physiquement. En racontant la scène à notre avocat, j’ai compris que ce comportement avait un nom: le bossing. Il a immédiatement rédigé un courrier d’avertissement. J’ai compris que c’était grave, que j’avais le droit d’être respectée et que je n’étais pas en tort. Alors que j’avais pensé démissionner, j’ai décidé de rester. Cette prise de conscience m’a finalement permis de ne plus avoir peur.»

*Nom connu de la rédaction
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.