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Se fondre dans la foule

Les bousculades meurtrières posent la question de la capacité de l’individu à s’auto-déterminer. Le point sur les connaissances scientifiques sur le sujet.

L’une des dernières grandes bousculades a eu lieu en septembre dernier près de La Mecque, lors du pèlerinage musulman du Hajj. Le bilan des morts est lourd: au moment de mettre sous presse, les chiffres officiels en recensaient 2’223. La catastrophe se serait produite lors d’un croisement de deux groupes de pèlerins. Selon le ministre saoudien de la Santé, ils auraient ignoré les instructions de sécurité. Ce tragique accident n’a rien d’isolé: on dénombre plus de 20 mouvements de foule mortels depuis l’an 2000. Le plus souvent lors d’événements attirant des milliers de personnes à la fois.

Et ce genre de manifestation est courant. Plus de 400 festivals de musique ont par exemple lieu chaque année en Suisse. Leur succès a conduit les scientifiques à se pencher sur les mouvements de foule. Parmi eux, Aïcha Rizzotti, ingénieure à la Haute Ecole Arc Ingénierie – HE-Arc Ingénierie, travaille sur la gestion de foule dans le cadre du programme iNUIT (lire encadré ci-dessous). Le but de la chercheuse? Analyser les comportements des masses pour prédire les débordements. «Des applications pour smartphones permettent de scanner une foule entière, explique-t-elle. Les données récoltées sont ensuite envoyées à un serveur qui pourra nous avertir s’il y a un problème.»

Auto-organisation

Pour que l’ordinateur donne l’alerte, Aïcha Rizzotti doit au préalable définir ce qu’elle entend par «problème». Sur la base des plans du terrain accueillant une manifestation, son équipe modélise les trajectoires que peuvent emprunter les groupes d’individus. Si un groupe tourne d’abord à droite, puis contourne un bâtiment, cela pourrait signifier qu’il se dirige vers la sortie. Et donc qu’il fuit potentiellement une menace provenant de l’intérieur. Il suffit d’intégrer cet enchaînement à l’algorithme pour que, une fois la foule scannée, le système intelligent repère si une importante masse d’individus se dirige vers la sortie et donne l’alerte. Pour définir ces trajectoires, Aïcha Rizzotti s’inspire de deux comportements de foule contradictoires observés sur le terrain. Le premier montre qu’un ensemble de personnes suivra le groupe le plus proche, le second qu’il cherchera à éviter toute collision.

Ces deux mouvements simultanés suggèrent que la foule est une entité dont la dynamique collective repose sur des processus d’auto-organisation. Chaque personne agit suivant ses propres motivations, mais son comportement est tout de même influencé par les personnes autour d’elle. Des exemples du monde animal appuient cette thèse: les déplacements de groupes d’oiseaux ou ceux des bancs de poissons relèveraient d’un processus d’auto-organisation.

Identité sociale

L’idée d’un tel processus agissant sur un groupe remonte à la fin du XIXe siècle. A cette époque, la foule était assimilée à une entité collective: «l’idée est qu’en associant les individus à un même endroit au même moment, l’intelligence se divise et les consciences fusionnent pour créer une identité collective moins intelligente que la somme de ses parties», indique Pascal Viot, sociologue à l’EPFL. Selon lui, cela se retrouve dans la façon de penser la foule aujourd’hui: elle est souvent décrite comme un «troupeau de moutons, où le moi est complètement noyé».
Mais cette thèse de l’auto-organisation est actuellement controversée. Pascal Viot est d’ailleurs un de ses détracteurs. Selon lui, il existe des dynamiques d’interaction entre les individus au sein d’une foule, mais l’organisation n’y est pas totale. Son opinion va dans le sens des études plus modernes sur la psychologie des foules. Elles montrent que ces masses d’individus ne sont pas irrationnelles. Les foules agissent en fait en fonction des comportements qui sont bénéfiques pour l’identité sociale du groupe. «Ces nouveaux travaux donnent une grande place au «moi» dans la mesure où l’identité personnelle tire des bénéfices de l’identité sociale, explique Fabrizio Butera, professeur de psychologie sociale à l’Université de Lausanne. La distinction entre la foule et l’individu n’a pas lieu d’être: les individus à l’intérieur d’une foule ont les mêmes objectifs que la foule.»
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ENCADRE

Trois questions à Juergen Ehrensberger

Juergen Ehrensberger est le coordinateur du programme Internet of Things for Urban Innovation (iNUIT) de la HEIG-VD. Son but est de développer des technologies qui relient les mondes réel et virtuel, pour rendre les processus urbains plus intelligents.

Quel est le défi posé par la gestion des foules?
Un aspect important de la gestion des foules est lié à la sécurité physique des individus. Nos systèmes visent à déterminer la densité de personnes dans une zone et à détecter les mouvements dangereux. Le second aspect est la mobilité. Nous voulons contribuer à mieux gérer les flux de personnes, notamment à proximité d’un événement, sur les routes ou dans les gares.

Avez-vous déjà testé votre technologie?

Oui, nous avons testé plusieurs de nos systèmes lors de l’édition précédente du Paléo Festival. Le but était de comprendre les contraintes spécifiques de l’événement. Nous prévoyons leur véritable mise en pratique lors de l’édition 2016.

Dans quels autres domaines ce système peut-il être utile?
On peut penser au domaine médical, notamment à l’aide aux personnes âgées souhaitant rester autonomes. Des capteurs installés dans un appartement peuvent détecter des problèmes et avertir un membre de la famille. L’internet des objets peut aussi servir le secteur de l’énergie. Nous collaborons par exemple avec la Ville de Lausanne pour développer un système intelligent qui vise à optimiser la consommation d’énergie de l’éclairage public.
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Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 10).

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