Les stars masculines n’ont plus honte de pleurer en public. Les femmes sont-elles préparées à ce retour de la sensibilité des mâles?
C’est en pleurs que «Pistol Pete» Sampras est entré dans l’histoire du tennis au terme de son match victorieux à Wimbledon. Les joueurs de l’équipe de foot italienne, les coureurs de Formule 1 ou les superstars de la NBA ne dissimulent plus leurs émotions.
Leurs larmes ne menacent pas leur virilité, bien au contraire. Après avoir vu, comme des millions de téléspectateurs, son champion de mari éclater en sanglots, la femme de Mika Hakkinen avoua qu’elle l’avait alors trouvé «génial». Bel exemple de larmes masculines qui suscitent un surcroît d’admiration auprès du sexe faible.
Que de chemin parcouru depuis 1939 où, lors du tournage d’«Autant en emporte le vent», Clark Gable avait opposé une forte résistance à pleurer devant la caméra! Virilité oblige, à l’époque, pas question pour un homme de s’exhiber dans une situation de fragilité. Un mâle maîtrise ses émotions, ne lâche jamais prise.
Dans «Le Sexe des émotions», le psychiatre Alain Braconnier analyse: «Dès les premiers jours de son existence, un bébé se retrouve dans un monde masculin-féminin, hautement différencié (…). Par-delà la génétique, c’est l’éducation au sens large qui favorise le développement des différences.»
On est en plein dans la problématique moderne de l’identité masculine (abordée récemment sur Largeur.com). La transition actuelle est complexe car les femmes se plaignent des hommes qui n’expriment pas assez leurs émotions, mais elles continuent de demander en même temps un pôle masculin fort et stable.
Dans «Les hommes se transforment», Paule Salomon estime que même si le phénomène est encore marginal, le monde des émotions est en train de changer: «Les larmes font fondre la cuirasse du guerrier et le pont entre l’homme et la femme se construit. Les identités se mixent de plus en plus, le féminin intégrant du masculin et vice versa.»
Mais la question des pleurs masculins n’est pas uniquement liée à la représentation de la virilité, elle est étroitement dépendante du statut de la sensibilité dans la société. Le XVIIIème siècle par exemple, a vu les hommes pleurer abondamment. Pourquoi? Parce qu’on est un homme sensible et que les larmes sont l’expression par excellence de la sensibilité alors portée aux nues.
En ce début de troisième millénaire, nous n’assistons pas à un retour de la sensibilité comme valeur, mais à une quête de l’authenticité. Les héros veulent se montrer sincères donc sensibles, susceptibles de fondre en larmes. La question actuelle devient donc: Combien de temps faudra-t-il attendre pour qu’il ne soit plus nécessaire d’être un héros pour pleurer?
Et si c’était dans les salles obscures que l’on trouvait les pionniers? J’en ai parlé récemment à plusieurs amis qui m’ont avoué qu’ils laissaient volontiers couler leurs larmes dans les cinémas lorsqu’ils sont seuls, mais qu’ils se retenaient en présence d’une femme, «pour ne pas déconcerter».
L’obstacle culturel reste important, aussi pour les femmes. «La première fois que j’ai vu mon homme pleurer à la sortie du cinéma, j’avoue que j’étais complètement destabilisée, m’a avoué Sandra, une pharmacienne de 29 ans. Je me considère comme une femme moderne, mais ma représentation de l’homme reste la solidité affective, incompatible avec les larmes.»
Au contact de «ces hommes qui pleurent», les femmes découvrent des mutants, certes moins dominateurs – ce qu’elles avaient appelé de leurs vœux – mais aussi moins protecteurs que les machos d’hier, ce dont elles doivent se consoler. Je ne peux que leur conseiller la lecture de «L’éloquence des larmes», de Jean-Loup Charvet. «Pleurer, y lit-on, c’est se sentir entraîner dans cette manifestation du sensible qui défie les lois de la gravité terreste, car dans sa chute, la larme élève celui qui la donne et celui qui la reçoit. Dans l’émotion qu’elle exprime, la larme célèbre la communauté d’essence entre le féminin et le masculin.» Un délicieux petit livre qui aide à pleurer, donc à vivre.
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Sur le même thème, «Pleurer pour rien», extraite de l’album «Maudit bonheur» du chansonnier Michel Rivard: «Pleurer pour rien/Dans s’faire de mal/Quand y a trop plein/d’folie banale/Pleurer pour rien/Ni pour personne…»
