Ma première rencontre avec Jim Carrey fut aussi fortuite que malheureuse. Tombé par hasard dans une salle d’un multiplexe jonchée de pop-corn et de petits monstres prépubères, j’avais assisté, béat d’incrédulité, à la projection du deuxième «Ace Ventura». Et si mes voisins boutonneux s’esclaffaient à chaque vomissure ou pet échappé d’un des prodigues orifices de Jim Carrey, j’étais pour ma part pris de nausée devant les simagrées simiesques de cet acteur qui semblait avoir l’outrance pour seul registre.
Depuis ce jour, j’éprouvais un haut-le-cœur chaque fois que je croisais ce contorsionniste du faciès sur un écran. Même dans «The Truman Show», j’avais la désagréable impression de me trouver devant un très mauvais acteur qui, même dans ses instants de sincérité, ne pouvait s’empêcher de cabotiner. Un acteur qui sonnait faux quand il voulait sembler vrai.
Et puis il y a quelque mois, «Man on the Moon» est venu bouleverser la donne (je m’en suis déjà fait l’écho sur Largeur.com). C’est que le film de Forman s’attache justement à dépeindre un roi du canular, un homme qui n’arrive plus à se dépêtrer de la grosse farce en laquelle il a transformé sa vie. Là, dans ce rôle fondamentalement insincère, perçait un Jim Carrey plus vrai, plus authentique. Et soudain, les dimensions insoupçonnées d’un immense acteur se faisaient jour.
Depuis ce film, je ne sais si mon regard a changé ou si le parcours artistique du comédien s’infléchit effectivement, mais je suis toujours plus admiratif face à ce Carrey magique. Dans son dernier opus, il se livre ainsi à une performance d’acteur qui force le respect. A tel point qu’on ne voit qu’elle: dans «Me, myself and Irene», des frères Farelly, Jim Carrey plie son talent à un canevas classique, auquel chaque acteur comique a sacrifié un jour, celui du quidam schizophrène.
Scénaristiquement parlant, rien de bien original. Charlie est un gentil flic de Rhode Island, tellement bonasse que tout le monde s’assoit sur son autorité. Jusqu’au jour où, excédé, Charlie pète les plombs et troque sa personnalité pour celle de Hank, flic au regard méchant et vicieux dont les apparitions inopinées font mourir Charlie de honte.
Rien de bien original, vraiment? Non, si l’on considère que le frères Farelly puisent une nouvelle fois leur inspiration dans une vulgarité jouissive, une scatologie replète, celle-là même qui assura le succès de «Mary à tout prix» et dont les recettes éprouvées sont reprises une à une.
Oui, si l’on considère que sous l’aspect inoffensif d’un remake de «Dr Jekill et Mr Hyde», les Farrelly dressent un portrait peu flatteur de l’homo unitedstatus. Car au fond, ce gentil héros toujours affable au point d’en perdre toute saveur, qui cache un monstre d’égoïsme vantard ne pensant qu’à trousser les filles, apparaît comme un parfait représentant de l’Américain moyen. C’est-à-dire politiquement correct en temps normal, mais dont la contenance puritaine ne fait qu’aviver les penchants moins reluisants.
Dès lors, choisir Jim Carrey pour incarner ce prototype, avec son menton en galoche, son sourire niais et sa silhouette dégingandée, relevait de l’évidence. D’autant que l’acteur, sans aucun trucage, sans autre effet spécial que son corps élastique, parvient à rendre le changement de personnalité éminemment cinématographique, jusqu’à une scène finale à couper le souffle, pendant laquelle il incarne les deux personnalités antagonistes en même temps… Et c’est bien là son avantage décisif sur tous les autres acteurs hollywoodiens: si Jim Carrey est unique, c’est parce qu’il est pluriel.