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Lunettes sur internet: les opticiens résistent.

Les ventes en ligne de lunettes progressent rapidement grâce à une offre variée et des prix très attractifs. Les opticiens ne s’en inquiètent pas (encore) et misent sur le service et la complémentarité.

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C’est une publicité de sa caisse maladie qui a orienté Mirjam Santeler vers un site suisse de vente de lunettes. «J’ai choisi une monture de marque, équipée de verres progressifs, pour moins de 500 francs sur Optical Web, témoigne la Genevoise. En boutique, elle m’aurait coûté plus du double.»

En Suisse, les «cyberopticiens» ont pour nom Optical Web, Glassy, cialis oral gel, cialis safe young men ou encore Happyview. Indépendants ou rattachés à des enseignes ayant pignon sur rue, ils grignotent lentement des parts d’un marché lucratif. «La vente de produits optiques représente 1,3 milliard de francs par an en Suisse, renseigne Dominic Ramspeck, de l’Association suisse de l’optique. Comme la population augmente et vieillit, ce marché connaît une croissance annuelle estimée à 3%.»

3% du marché online

De quoi laisser des opportunités aux nouveaux acteurs du net, sans pour autant inquiéter outre mesure les pontes du marché des lunettes. «Pour le moment, la plupart des sites de vente de produits optiques n’atteint pas les résultats escomptés, souligne Jacques Culand, du Groupement vaudois des opticiens. Mais cela pourrait changer avec le développement d’outils plus adaptés.»

Parallèlement aux 1’100 boutiques d’optique recensées en Suisse, les e-lunetiers occupent 2 à 3% du marché. Un résultat faible, comparable à la situation en France. «Le marché en ligne se cherche encore, estime Dominic Ramspeck. Pour l’achat de lunettes, le magasin reste le premier interlocuteur du consommateur suisse. Le client helvète est critique et exigeant. Il fait confiance à son opticien et se rend en magasin pour essayer et acheter une paire de lunettes.» La porter, sentir si elle est confortable ou non, avoir les conseils d’un professionnel pour les mesures et le bon centrage des verres: ces arguments de vente propres aux magasins défavorisent le web, avec son côté virtuel et distant.

A ces critiques, les vendeurs de lunettes online répondent par des solutions et transposent le modèle marketing éprouvé en boutique. Vous souhaitez porter votre monture? A l’aide d’une webcam, les sites proposent la 3D ou l’essai sur photos. Vous n’êtes pas convaincu par le virtuel? A leurs frais, certains sites expédient les montures retenues à domicile pour un essai. Besoin d’un contact avec votre opticien? Il vous renseigne via un chat en direct, par téléphone ou par e-mail. Ces moyens de communication semblent satisfaire la clientèle en ligne. «Ils nous permettent de connaître les besoins de nos clients et de personnaliser nos offres, explique Charles Aubert, manager d’Opticalweb.ch. Pour la prise de mesures, nous avons développé nos propres outils et nous nous servons des informations précises données sur l’ordonnance qui nous est transmise. Les lunettes retournées sont très rares.»

«Cabine d’essayage du net»

Pour contrer cette nouvelle concurrence, la plupart des opticiens classiques proposent leurs références en magasin et sur internet. Ludique, l’essayage en ligne attire le chaland. «Les clients visionnent les collections, comparent les prix et prennent le temps d’essayer virtuellement un grand nombre de montures, dit Dominic Ramspeck de l’Association suisse de l’optique. Mais si internet prépare la vente, l’achat se fait presque toujours en magasin, qui reste l’enjeu de ce marché.» Peu convaincus par la rentabilité, certaines enseignes s’abstiennent d’ailleurs de commercialiser des produits sur leur site.

Evidemment, le chemin inverse se vérifie aussi: «Nos clients essaient souvent leurs montures en magasin avant de les commander en ligne à meilleur prix; certains iront éventuellement chez l’opticien pour l’achat des verres et les ajustages», relève le patron d’une boutique de lunettes en ligne suisse, qui ne veut pas apparaître nommément. Devenir le showroom des vendeurs online? La perspective contrarie les opticiens. «Des clients viennent essayer en magasin, photographient les montures et les références avec leur smartphone, signale Alain Jaques, opticien à Genève. Je me doute bien qu’ils finaliseront leur achat sur internet ou ailleurs. Je trouve cela irrespectueux car nous ne sommes pas la cabine d’essayage du Net! Heureusement, cela n’arrive que rarement.»

La plupart des professionnels voient plutôt une complémentarité entre les sites d’optique et les magasins. «Les enseignes online associées à des boutiques obtiennent de meilleurs résultats que les vendeurs exclusivement en ligne, estime Dominic Ramspeck. Si un client achète ses lunettes via le net, il viendra probablement en boutique pour les ajustages.» Une perspective prometteuse pour les opticiens qui gardent un rôle clé sur ce nouveau marché. Reste à savoir comment ils se rémunéreront pour un service après-vente gratuit jusqu’à présent.

Charles Aubert, manager d’Optical Web, fait une interprétation différente des choses: «Les acteurs de l’optique qui ont des magasins n’ont aucun intérêt au développement des ventes en ligne, même pour leur propre site, car les marges les plus importantes se font en boutiques.»

L’argument prix insuffisant

Une clientèle plutôt jeune, dont la vue requiert une faible correction, achètera plus volontiers ses lunettes en ligne pour bénéficier de prix attractifs. Mais l’argument budget ne suffit pas à faire décoller les ventes sur internet. «Les clients recherchent avant tout le confort et la qualité et veulent connaître la provenance des produits; en achetant sur le net, ils redoutent les contrefaçons», précise Jacques Culand. Du coup, Viu garantit un design suisse pour une fabrication main en Italie et Optical Web communique l’origine de ses produits.

La plupart des sites s’orientent aussi vers les marchés de niche. Un exemple: les lentilles et les solaires représentent, à eux deux, 30% du business de l’optique. «Pour ces produits finis, qui ne nécessitent guère de réglages, les revendeurs online sont très compétitifs», estime Dominic Ramspeck de l’Association suisse de l’optique. Pour limiter la concurrence, certains opticiens s’alignent. «Lorsque j’ai contacté Fielmann pour commander mes lentilles, témoigne un client de l’enseigne, ils m’ont proposé les mêmes prix que sur internet. Le coût de ma boîte mensuelle de lentilles a diminué de 50%.»

Même si la concurrence n’est pas encore spectaculaire entre opticiens classiques et vendeurs en ligne, elle est déjà très sévère entre les acteurs de Web dont les marges sont réduites par la course aux prix bas. Leur modèle économique reste fragile, surtout dans une compétition mondiale où seuls les frais de douanes et la réticence des clients suisses à acheter sur des sites étrangers protègent les enseignes en ligne locales. En France, le secteur se dynamise vite et fort, notamment depuis que le célèbre entrepreneur Marc Simoncini (à l’origine du site de rencontre Meetic) a lancé Sensee, qui propose des montures «made in France» pour 69 euros. En réaction, direct-optic.fr propose depuis peu une monture, avec les verres, pour 39 euros! Une compétition féroce qui tire tous les prix du secteur vers le bas, et que pourrait bien connaître le marché suisse d’ici peu.
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ENCADRE

L’avis du médecin

Des lunettes inadaptées n’abîment pas les yeux, mais entraînent un inconfort, voire des maux de tête. D’où l’importance d’avoir des verres adaptés à la correction nécessaire et bien centrés sur la monture. «Je suis plutôt contre l’achat de lunettes de vue sur internet, surtout pour les enfants ou les personnes qui portent des verres progressifs ou à fortes corrections, explique Martin Zwingli, ophtalmologue à Morges. Dans ces cas, les mesures préalables à la fabrication des verres doivent être très précises. L’examen ophtalmologique, suivi du travail de l’opticien pour le choix de la monture et le bon assemblage de la lunette, restent indispensables. Les outils de mesures proposés sur internet me paraissent peu adaptés.» Le médecin a un avis plus nuancé pour les lentilles: «La correction exacte est précisée sur l’ordonnance. Le patient peut facilement acheter ce produit fini en ligne. Il s’expose toutefois à des risques d’intolérances si la lentille n’est pas de qualité.»
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TEMOIGNAGES

«Les lunettes, c’est comme un costume sur mesure»

Alain Jaques, opticien indépendant, propriétaire et gérant de la maison Jaques Opticiens, qui emploie six collaborateurs à Genève.

Sur les bords du Rhône, Jaques Opticiens officie dans les lunettes moyen et haut de gamme depuis trois générations. «Le marché de l’optique est en croissance de manière générale. Pour répondre aux attentes des clients, il y a de la place pour tous les types d’enseignes, qu’elles soient indépendantes, franchisées ou en ligne. Pour le moment, surtout pour les lunettes de vue, la concurrence d’internet ne nous inquiète pas vraiment. Notre clientèle veut un contact avec son opticien, cherche un service de qualité, des produits certifiés, des conseils personnalisés et un suivi. Elle nous reste fidèle pour ces raisons.»

Le prix au rabais n’est pas la motivation première de ceux qui poussent la porte de chez Jaques pour leurs achats optiques. «Nos clients comprennent que l’embauche de personnel qualifié, la tenue d’une boutique et la gestion des stocks génèrent des coûts fixes importants pour l’opticien traditionnel, contrairement au vendeur sur internet. On ne peut pas concurrencer le prix des produits vendus sur le Net et ce n’est d’ailleurs pas notre objectif. Les lunettes, chez nous, c’est un peu comme un costume sur mesure. Qui achèterait du sur-mesure sur le Net?»
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«On peut être un bon cyberopticien»

Charles Aubert, manager d’Optical Web, société lausannoise de vente de lunettes en ligne qui compte six collaborateurs.

Concentré sur le marché suisse, Optical Web commercialise des produits optiques en ligne depuis 2008. «Les solaires représentent 50 à 60% de nos ventes, contre 20% pour les lunettes de vue et autant pour les lentilles et produits dérivés. On sent cependant une certaine évolution: alors que nous ne commercialisions quasiment pas de lunettes de vue au départ, depuis deux ans, nous en vendons 15 à 20 paires quotidiennement.»

Optical Web réalise 45% de ses ventes en Suisse romande, 40% en Suisse alémanique et 15% au Tessin. Sa clientèle a entre 35 et 50 ans «Nous avons même un client de 90 ans! Satisfaire la personne est le gage de sa fidélité. Avec le temps, nous commençons à bien connaître certains de nos clients, ce qui nous permet de bien les conseiller entre nos 15’000 références.»

Avant l’envoi de la paire de lunettes définitive, des opticiens qualifiés travaillent en amont. «Nos collaborateurs connaissent bien l’univers de l’optique et ont travaillé en magasin. Si le premier contact se fait via notre site internet, les entretiens suivants se passent par téléphone ou par mail, en one-to-one entre l’opticien et le client. Une ordonnance bien faite et l’envoi de lunettes de mesure nous permettent d’avoir des données précises pour les verres. Pour le choix des montures, nous travaillons sur photos et expédions les modèles sélectionnés pour un test à domicile. Notre méthode de travail fonctionne bien et nous n’avons quasiment pas de retour. Maintenir des prix bas n’est pas notre seul objectif: la qualité et un service adapté priment. Lorsque nous ne pouvons pas honorer une commande, nous préférons la refuser plutôt que de mécontenter le client.»

Conscient de perturber le marché traditionnel de l’optique, Optical Web se fait discret. «Nous ne faisons pas de publicité: les clients viennent à nous par le bouche-à-oreille. Nous ne cherchons pas à casser le marché existant ou à critiquer les opticiens classiques. J’estime que nous répondons à une demande qui existe parallèlement aux magasins. Prendre le virage du web dans l’univers concurrentiel de l’optique est un pari difficile.»
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«L’e-commerce de lunettes ne remplacera pas les magasins d’optique»

Michel Sonnard, administrateur pour la Suisse de la franchise française Optic 2000, qui compte 43 magasins en Suisse.

En France, Optic 2000 commercialise des lunettes en ligne depuis plusieurs années. En Suisse, l’enseigne n’a pas franchi le pas. «Comme la rentabilité n’est pas au rendez-vous en France en cette phase de lancement, pour le moment, nous ne souhaitons pas tenter l’expérience ailleurs. De plus, la Suisse reste un petit marché, compliqué en raison des différences linguistiques. Cela ne veut pas dire que nous négligeons internet. Le site Optic2000.ch existe, mais il n’a pas d’objectif transactionnel. Nos clients suisses se connectent pour découvrir nos collections et essaient virtuellement des montures avant de venir en boutique. Nous savons que 80% des achats de lunettes se préparent préalablement en ligne avant de se concrétiser en magasin. Négliger internet serait une grave erreur marketing.»

Michel Sonnard ne croit pas au vendeur de lunettes exclusivement virtuel. «Dans ce marché très concurrentiel, il faut aussi exister physiquement, par des magasins où le client peut rencontrer son opticien. Combiner le virtuel et le réel semble être le bon business model, suivi par la plupart des enseignes d’optique. On constate d’ailleurs que ceux qui débutent par la vente online finissent presque tous par ouvrir des magasins, ou par s’affilier avec des chaînes de boutiques.»
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.