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La fable du chacal doré

Ou comment un obscur prédateur, nouveau venu sous nos latitudes, résume à lui seul l’ampleur de certains désarrois.

Il ne manquait plus que lui: le chacal doré. C’est le deuxième abattu depuis le début de l’année. Après les Grisons, Schwytz. Originaire d’Inde, voilà quelque temps qu’il remonte depuis le sud-est de l’Europe, profitant de deux catastrophes bien connues: le réchauffement climatique et le déclin du loup, son principal prédateur, qui depuis, va beaucoup mieux, merci.

Le chacal doré est un grand voyageur. Ce sont les mâles qui viennent d’abord, en éclaireurs, les femelles arrivant ensuite, nous assurent les spécialistes. Les mêmes spécialistes de la faune sauvage nous assurent que même si le chacal doré est un opportuniste capable de se nourrir d’à peu près n’importe quoi, les risques de conflit avec la population sont faibles «puisque dans un premier temps seuls des individus isolés s’établissent».

Puisqu’il est arrivé naturellement en Suisse, apprend-on aussi, le chacal doré se retrouve, comme par enchantement, protégé en tant qu’«espèce de grand prédateur indigène». Sauf que dans les Balkans, il est considéré comme espèce exotique. Du coup, le quotidien Le Temps se pose cette grave question: comment faire la différence entre une espèce exotique invasive non tolérée, comme le raton-laveur, et une espèce qui colonise le pays mais tolérée, comme le chacal doré? Cette question en rappelle tellement d’autres que le journal de référence a titré son papier «Chacal doré, portrait d’un immigré».

Et encore s’il ne s’agissait que de distinguer le chacal doré et colonisateur du raton laveur exotique et invasif, on pourrait sans doute, avec un peu de bonne volonté, y arriver. Mais il y a plus ardu: il se trouve que le chacal doré ressemble diablement au renard. Les chasseurs sont donc priés de ne surtout pas confondre. Parce qu’il se trouve aussi que le renard, non exotique, non colonisateur, mais trop gourmand et vecteur de quelques vilaines maladies peut, lui, être abattu.

La tâche est d’autant plus compliquée que, comme l’a rappelé Pierre Maudet dans la presse dominicale, «en Suisse nous sommes sourds et aveugles». La faute en gros à un service de renseignements le plus démuni et donc le plus nul d’Europe. Certes loin de nous l’idée d’insinuer qu’à l’image de nos espions, tous nos chasseurs soient bigleux et malentendants. N’empêche, leur demander de ne pas confondre le chacal doré avec le renard, c’est peut-être placer trop d’espoir dans leur sagacité.

On rétorquera que l’on peut toujours compter sur le loup, espèce aussi protégée que le chacal doré et, comme on l’a dit, son plus redoutable prédateur. Sauf que ceux qui redoutent l’invasion du chacal doré aiment encore moins le loup, la preuve encore en a été donnée récemment par l’abattage clandestin d’un canis lupus dans le Haut-Valais, terre hostile s’il en est. Et puis serait-il vraiment fair-play, digne de nos vieilles traditions d’accueil et de vivre-ensemble, que de laisser impunément une espèce protégée en éradiquer une autre tout aussi protégée?

Bref, la situation n’est pas loin d’être inextricable dans un monde de plus en plus compliqué. Les dilemmes sont partout. Si par exemple, on est une femme socialiste, donc à la fois féministe intransigeante et favorable par principe à l’accueil généreux des cultures venues d’ailleurs, faut-il soutenir, au nom de la liberté des femmes, l’initiative anti-burqa issue de milieux islamophobes et proches de l’UDC? Non, répond Ada Mara, oui, répond Marlyse Dormond, respectivement actuelle et ancienne conseillères nationales vaudoises, toutes deux PS.

C’est Pierre Maudet, encore lui, qui assène le coup de grâce: «La Suisse n’est pas une île protégée». Contrairement au chacal doré.