GLOCAL

Touche pas à mon foot

L’interdiction faite à Fribourg à de jeunes requérants de s’adonner au ballon rond après 19 heures ne tient pas debout. La preuve par les vignettes Panini.

C’est une évidence. Il n’y a que là que ça marche vraiment. Dans le football. On veut parler d’intégration, de multiculturalité, de vivre-ensemble, de non-discrimination. A l’heure où les frontières se ferment, où les peurs s’aiguisent, où le populisme et le nationalisme retrouvent une vigueur qu’on pensait perdue à jamais, seul le foot montre l’exemple.

Oui, ce sport de beaufs, de corrompus, ce chaudron de violences gratuites et de chauvinismes pavloviens, qui a produit le Heysel et Blatter, est devenu quasi le seul univers où le vain rêve de pureté ethnique et culturelle a été efficacement ringardisé, réduit à ce qu’il est: un fantasme méconnaissant les mécanismes de l’histoire et les principes élémentaires de la biologie. Point de races, encore moins de peuples pour l’éternité.

L’exemple de la France voisine est sans doute le plus emblématique. Où, sinon dans le football, les jeunes d’origine maghrébine ou subsaharienne se voient-ils réellement considérés comme des membres à part entière de l’utopie républicaine?

La Suisse de son côté n’est pas en reste: c’est le football d’abord qui a permis à l’importante communauté d’origine albanaise d’exister en dehors d’une image de délinquance et de clanisme qui lui collait à la peau.

Le père de Xherdan Shaqiri, désormais l’incontestable leader de la Nati, l’a raconté plusieurs fois: inscrire son fils au foot, c’est tout ce qu’il avait trouvé pour lui éviter de «traîner à la gare». Autrement dit lui éviter d’errer dans la peau du fils d’immigré déphasé, inutile, hors du coup et d’un monde peu fait pour lui, hostile à priori.

Les sélectionneurs des 24 équipes nationales qualifiées pour le prochain Eurofoot n’ayant pas encore établi la liste définitive des joueurs retenus, on en est réduit à consulter l’album des vignettes Panini pour faire ce constat: des nations engagées, la Suisse est la plus multiculturelle de toutes, avec 13 joueurs sur 20 d’origine étrangère. Soit plus que la France ou la Belgique qui viennent juste après en termes de diversité footbalistique. Des pays très sympathiques où chacun rêverait naturellement de vivre, comme la Russie ou la Turquie, ne comptent en revanche aucun élément hétérogène dans leur rang.

Dans ce contexte, la décision fribourgeoise d’interdire à des jeunes d’un centre de requérants la pratique du football après 19 heures, pour cause de tapage nocturne et de voisins courroucés, n’est pas seulement anecdotique, ou stigmatisante. Elle est d’abord parfaitement stupide.

Le foot est un sport bruyant, personne n’en disconvient. Plus que le golf ou le tennis, c’est sûr. Ceux qui ont habité près d’un stade ou d’un simple terrain peuvent en témoigner. On peut aussi se demander si les centres-villes sont vraiment les meilleurs endroits pour implanter des foyers de jeunes requérants.

Ces choix ne sont pourtant pas de la responsabilité des requérants, mais des autorités politiques, des sociétés en charge de gérer l’asile, — c’est l’une d’elle qui a prononcé l’interdiction en ville de Fribourg — et de tous les voisins qui par principe, par peur et par réflexe humain ne veulent pas entendre parler de requérants à proximité. Peu importe que ce soit à la montagne, en rase campagne ou en pleine ville. Peu importe le sport pratiqué, ballon rond, tir à l’arc ou philatélie.

On peut se dire et se répéter tout cela, on n’a toujours pas une seule raison d’interdire la pratique du football à des requérants déjà fantomatiques, perdus sur une autre planète qui s’intitule, comme par antiphrase, «pays d’accueil». Le bruit? On pourrait à ce compte interdire, dès 19h et pour le tout le monde, les déplacements motorisés, les bavardages en terrasse, les concerts de rock ou de yodel.

Comme le disait le plus fantasque des footballeurs, Eric Cantona, marseillais de Manchester d’origine espagnole: «Tout ce que nous pouvons faire, c’est essayer de passer le ballon et laisser le soleil briller. En espérant qu’il brille pour tout le monde»..