GLOCAL

L’avocat catholique du diable

La bonne nouvelle c’est que le nouveau président du PDC suisse Gerhard Pfister est un homme très intelligent. La moins bonne, c’est qu’il est aussi un vilain conservateur ultralibéral. Ou l’inverse.

«Un homme intelligent ne commet pas lui-même toutes les erreurs: il laisse aussi leur chance aux autres». Cette citation de Winston Churchill tourne en boucle sur le site internet de Gerhard Pfister. Le nouveau président du PDC aurait-il de l’humour? Au moment de prendre congé en tout cas, son prédécesseur Christophe Darbellay s’est adressé à la foule en liesse des militants avec ce grand doute: «Je ne sais pas si vous vous réjouissez de mon départ ou plutôt de l’arrivée de mon successeur». Difficile en effet de trancher.

En Suisse romande, la réputation de ce Zougois bon teint a été vite établie: à droite, très, très à droite. Tous les péchés de la terre lui sont volontiers attribués et lui-même ne serait pas loin de les revendiquer fièrement. Conservateur ultralibéral à la sauce Thatcher. Proche de l’UDC dans le domaine de l’asile. Proche des milieux bancaires — il est allé jusqu’à soutenir les velléités de l’UDC d’inscrire le secret bancaire dans la Constitution. On l’a vu ferrailler pour le déremboursement des interruptions de grossesse. L’homme n’a pas hésité non plus à taxer «d’irrationnelle» la politique énergétique menée par sa conseillère fédérale Doris Leuthard, ancienne présidente du PDC.

Ce qui fait tout de même beaucoup pour le nouveau président d’un parti supposé centriste. Un journal alémanique l’a même appelé «l’avocat catholique du diable». Doué d’une véritable autorité naturelle, d’un bagage intellectuel plus que solide, ce docteur en philosophie, qui dirige lui-même son propre institut, peut se montrer cassant, voire même brutal avec ses adversaires.

Certains font déjà de lui un épouvantail. Le quotidien Le Temps le consacre carrément «nouvel homme fort de la politique nationale». En comparaison certes, la nouvelle présidente du parti radical Petra Gössi et le nouveau chef de l’UDC Albert Rösti feraient presque figure d’agneaux inoffensifs.

Le sens du compromis n’est pas le fort de Pfister. Le sort des minorités linguistiques le laisse plutôt indifférent et sa froideur est proverbiale. Il semble faire partie de ces gens à qui il est fréquemment reproché de ne même pas savoir dire bonjour. Sa nouvelle fonction dit-on pourtant, serait déjà en train de le changer: ceux qui l’ont côtoyé ces derniers jours l’auraient trouvé ouvert, disponible, parlant même une sorte de français à peu près potable.

A ceux en tout cas qui lui reprochent dans les débats ses attitudes agressives et blessantes, il rétorque qu’il s’attaque «toujours aux contenus, jamais aux personnes». Et qu’à l’inverse, la critique de son propre style «cache souvent mal une critique du contenu».

Certains font remarquer que, souvent opposé à son propre parti, Gerhard Pfister pourtant représente les positions et les valeurs historiques d’une formation qui s’est longtemps appelée, avant de devenir le PDC, «Parti catholique conservateur». Si catholique et conservateur, le PDC n’entend plus l’être, Pfister lui persiste. Son modèle de formation, il le dit lui-même, serait à chercher du côté de la CSU bavaroise.

Enfin, l’homme confie ne pas trop aimer la sacro-sainte culture du compromis qui règne au sein du PDC. «Certes, dit-il, cela nous permet de créer des majorités, mais nous fait perdre aussi notre identité». Son idéal de communication? Twitter, «un média captivant pour le politicien parce qu’il l’oblige à délivrer un contenu bref et tranchant».

Parler d’avocat du diable à propos de Gerhard Pfister n’est pas tout à fait vain. Signalons que parmi les citations de sa page d’accueil figure celle-ci, de Thomas Fuller: «La politique consiste à servir Dieu sans se fâcher avec le diable». Songeant à ses adversaires, Gerhard Pfister aurait aussi pu mentionner cet autre aphorisme de Thomas Fuller, homme de loi et d’Eglise anglais du XVIIe: «Les imbéciles grandissent sans qu’on les arrose».