Qu’un avion s’écrase, qu’un train déraille, qu’une avalanche soit meurtrière et voilà que des équipes de «debriefers» fondent sur les survivants et les proches des victimes. L’accident du Concorde ne fait pas exception à ce qui est devenu une règle. Et pourtant, cette méthode visant à réduire les réactions à un événement traumatique est loin de faire l’unanimité dans les milieux scientifiques.
La technique de «debriefing» est apparue dans les années 80 aux Etats-Unis avec les travaux du Dr Jeffrey Mitchell. Elle doit être proposée aux victimes dans les 72 heures qui suivent le drame.
Généralement, cette méthode respecte trois temps. D’abord elle pose le cadre avec la présentation de l’équipe et des règles de fonctionnement dans le respect de la confidentialité. Ensuite, elle facilite et favorise la verbalisation. Enfin, elle prépare le retour à la vie sociale en évoquant par anticipation les besoins et difficultés que les survivants peuvent rencontrer ultérieurement.
Le «debriefing» n’est donc pas une thérapie. Son objectif: par le biais du travail de récit, abaisser le seuil émotionnel. Tout repose donc sur la verbalisation des émotions qui permettrait d’acquérir une prise de conscience et une maîtrise de l’événement .
Curieusement, malgré la popularité du «debriefing», peu d’études jusqu’ici se sont penchées sur l’évaluation de son efficacité. Aucune n’a permis de montrer qu’il diminue le risque de voir apparaître un état de stress post-traumatique. Les travaux de Lacelle et Séguin (1998) ne soulignent aucune différence entre les étudiants ayant subi un «debriefing» et les autres étudiants, à la suite du suicide d’un de leurs camarades dans leur école.
D’autres chercheurs se montrent franchement critiques et affirment que les mesures de postvention (par opposition à la prévention) doivent être appliquées avec précaution et invitent les utilisateurs à la prudence (Goldney et Berman, 1996). Il est même des études laissant entendre que cette méthode amplifie le processus traumatique ou le prolonge (Raphael et Meldrum, 1995).
Seule certitude, dans des contextes générant un sentiment d’impuissance et d’échec, le «debriefing» répondrait au besoin des intervenants d’aider et serait donc plus utile au soignant qu’au soigné… Il confèrerait une forme de bonne conscience .
L’attaque la plus récente à l’égard du «debriefing» a été formulée par Bernard Rimé, professeur de psychologie à l’Université de Louvain. Dans un article intitulé «Faut-il parler de ses émotions?» et publié en avril dernier, il se livre à des observations qui viennent bousculer un certain nombre d’idées reçues.
Il est commun de croire que le fait de parler de ses émotions soulage, enlève le poids de la douleur. Or Bernard Rimé a voulu le vérifier. En conclusion de son étude, il relève que «les effets escomptés du «debriefing» ne sont en rien confirmés. Nos données conduisent donc à réfuter l’idée si populaire selon laquelle la parole aurait un effet libérateur de l’émotion. Force est donc de conclure que parler d’une expérience émotionnelle n’en altère pas de manière sensible l’émotion.»
Si, entre psys, le débat est vif, le grand public est tenu à l’écart et continue à être soulagé en apprenant que les victimes de telles ou telles catastrophes sont entre les mains de «debriefers».
Quelles que soient les conclusions de ce débat précis, la question demeure: «Comment survivre au malheur?» Peut-être serait-il temps de se rappeler que tout drame ne conduit pas à une psychopathologie. Et la résilience? Que fait-on de cette aptitude à survivre à des événements particulièrement douloureux?
La conclusion des travaux de Boris Cyrulnik sur ce sujet («Un merveilleux malheur», aux éditions Odile Jacob) mérite notre attention. «Même s’ils en gardent des cicatrices, les humains peuvent dépasser des traumatismes graves. Il existe au fond de l’être humain des ressources insoupçonnées qui le rendent capable de surmonter les pires épreuves», constate-t-il. Encourageant de se savoir plus solide qu’on le croyait.