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Partir pour devenir autre

Aux prises avec un monde tournant à pleine vitesse, les individus sont de plus en plus tentés par la transformation radicale. Mais la mue n’est pas toujours libératoire.

Les parents de D. sont éprouvés. Dans la chambre de leur fils ne subsistent plus que des tapis de prière et une djellaba blanche. Ce Genevois de 20 ans, catholique d’origine, est parti au printemps en Syrie.

Celui qui se fait désormais appeler Abdullah s’est converti à l’islam sur le tard. Il s’est radicalisé après avoir côtoyé un groupe rigoriste de la mosquée du Petit-Saconnex. En un an, son comportement a complètement changé. Ses notes ont dégringolé, il a perdu sa place d’apprentissage et s’est réfugié dans une lecture compulsive du Coran. Jusqu’à trois fois par jour, il partait prier à la mosquée. Ses parents ne le reconnaissaient plus.

Si le cas de ce jeune en quête de repères est singulier, il incarne néanmoins un mécanisme humain et très contemporain: le besoin de partir de soi. Que ce soit une étape mystique, un changement de vocation ou une crise existentielle: tout individu aspire à un moment donné de sa vie à changer de peau. Parfois, ce désir n’est que temporaire. D’autres fois, la transformation est définitive.

Voyage solitaire

Philippe González, sociologue spécialiste des religions, perçoit dans la conversion de ce Genevois une quête d’autonomisation par rapport à son groupe de référence: «Ce jeune s’est construit contre une identité héritée. Il a cherché à sortir des paramètres de ses parents pour choisir sa propre croyance.» Car la transformation de soi est avant tout un voyage solitaire. A l’arrivée, les liens sociaux et professionnels doivent être reconstruits. Il revient alors aux proches d’accepter — s’ils le peuvent — l’être nouveau qui se présente à eux. Et, éventuellement, de lui pardonner. Car, peu importe la direction choisie, tout le monde emprunte un jour la route de la transformation.

Parmi ces mutations identitaires, certaines sont plutôt anodines: elles peuvent être intérieures, se matérialiser par un changement d’orientation professionnelle ou une nouvelle activité sportive. D’autres, comme la sexualité, témoignent d’une évolution plus importante. Rupture, crise de la quarantaine ou coming-out, le sexe représente un puissant marqueur identitaire. Pour ceux qui choisissent de changer de genre, la transformation est radicale (lire témoignage ci-dessous).

La migration représente également un voyage interne, «dont on ne sort jamais indemne, rappelle Claudio Bolzman, spécialiste des mouvements migratoires pour la Haute école de travail social de Genève — HETS-GE. La vie est faite de routines. Nous n’existons pas seuls, mais nous nous construisons en relation avec les autres. Changer d’environnement va affecter notre identité.» Les nouvelles technologies et la globalisation ont facilité le brassage des populations. Quelque 215 millions de personnes vivent actuellement dans un autre pays que celui dans lequel elles sont nées, soit 3-4% de la population mondiale.

Intégration

Pour de nombreux individus candidats à une transformation, celle-ci sera forcément libératoire. Ils imaginent leur vie meilleure dans un autre pays, une autre religion ou un autre genre. Et c’est parfois le cas. «Les personnes transgenres sont par exemple moins stigmatisées que par le passé, estime Quentin Delval, de l’Unité Egalité & Diversité de la HES-SO. La médiatisation de certains cas en Amérique du Nord a été positive. A certains égards, cela rappelle la libération sexuelle des années 1960.» En Suisse, pour prévenir les discriminations, les 28 hautes écoles (HES) ont par exemple mis en place des normes afin de gérer la diversité comme l’instauration de règles de non-discrimination à l’embauche ou le langage épicène. Un programme de soutien est également prévu pour les personnes transgenres afin de leur permettre de «valider leur potentiel». La Hochschule de Lucerne a même accepté en mai de créer une case genre «non spécifié» dans ses formulaires.

Quentin Delval rappelle la fantastique intégration de Christa Muth. Née Christophe, cette professeure de la Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud — HEIG-VD avait pu continuer à enseigner après sa vaginoplastie. Toutefois, ces bonnes pratiques sont loin d’être généralisées: «Il s’agit d’une personne bien intégrée au niveau professoral et qui bénéficiait du soutien de la direction. Cela ne veut pas dire que ce type de transformation ne constitue pas un obstacle à l’avancement d’une carrière professionnelle.»

De nombreux migrants réussissent également à s’intégrer dans leur pays d’accueil et y connaissent le succès. Juan Gasparini en sait quelque chose. Ancien militant péroniste, il a dû quitter l’Argentine du dictateur Jorge Videla à 30 ans. Il a emporté avec ses bagages le souvenir de sa femme assassinée, des cicatrices de torture et deux enfants en bas âge. «Il a fallu recommencer à nouveau. J’avais l’énergie de ma jeunesse et mes enfants à charge comme motivation.» A son arrivée en Suisse, il apprend le français et se lance dans une formation universitaire qui débouchera sur une nouvelle vocation: le journalisme. Un parcours qui voit naître un homme nouveau. «J’ai laissé derrière moi toutes ces années de souffrance. Il a fallu aller de l’avant sans se retourner. C’était la condition pour pouvoir survivre. Il fallait changer.»

Frustration et déception

Claudio Bolzman précise que les migrants bénéficiant d’un «capital mobilité» ont beaucoup plus de facilité à s’intégrer dans leur nouveau milieu. De même que ceux qui ont déjà un réseau sur place parce que des membres de leurs familles ou de leur diaspora ont emprunté le même chemin avant eux. De grandes différences d’intégration subsistent, en effet, suivant les origines et la provenance sociale des individus. Et avec, au bout du chemin, beaucoup de déceptions pour ceux dont le capital culturel rend l’adaptation plus difficile.

Pour Quentin Delval, la question de qui peut réellement se permettre d’être transgenre reste aussi entière: «Une personne qui subit plusieurs formes de domination liées à un handicap, à son origine ethnique ou socio-économique aura plus de peine à s’assumer comme une personne transgenre qu’une personne dans la «norme» par rapport aux autres aspects de la vie.» Car pour les transgenres, il reste toujours difficile de faire accepter leur identité. «Toute notre représentation du monde est genrée, rappelle Quentin Delval. En français, chaque mot est associé à la masculinité ou à la féminité. C’est une vision binaire qui complique leur acceptation par la société.»

Quant à ceux qui espèrent une émancipation de leur moi au moyen d’une conversion religieuse, la frustration peut aussi se trouver au bout de la route. Pour Philippe González, chercheur à l’Université de Lausanne, «il est faux de résumer la conversion à une thérapie personnelle. Les individus sont confrontés à des interprètes de la théologie qui ont une vision du monde et des objectifs propres. Il se joue un combat idéologique autour de ces questions. La religion reste une manière d’organiser les groupes humains.»
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ENCADRE

«Je vis une forme d’unification de moi-même»

Sylvain, transgenre et professeur de conception en produits industriels, témoigne de sa métamorphose.

«Il y a une année, j’ai entamé un voyage dont je ne connais pas encore bien la destination», confie en souriant Sylvain, transgenre et professeur de conception à la Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud — HEIG-VD. Ce quadragénaire d’origine française, qui vit en Suisse depuis une quinzaine d’années, a, en effet, pris la décision de suivre un traitement hormonal. Il raconte que si des changements physiques sont déjà apparus, le bouleversement est avant tout intérieur: «Mes goûts, mon odorat, ma perception de l’environnement et mon comportement, tout a évolué.» Sylvain ne sait pas encore jusqu’où il souhaite aller dans sa transformation. «Je ne sais pas si j’irai jusqu’au bout. Mon objectif n’est pas de basculer d’un sexe à l’autre. Je vois cela comme un processus fluide, dont je n’ai pas planifié toutes les étapes. Si je disparaissais pour revenir transformé en femme, comme le font beaucoup de transsexuels, j’aurais l’impression de renoncer à une partie de mon identité.» Ce que le professeur envisage, c’est d’être plus «en femme» pendant certaines périodes et plus «en homme » pendant d’autres, dans un mode androgyne fluide. «Ce serait une forme d’unification de moi-même.»

Ce qui lui tient à cœur, c’est de ne choquer personne. «Je ne veux pas imposer mes choix à mon entourage. J’ai eu de la chance de pouvoir bénéficier d’un environnement professionnel bienveillant et notamment du soutien de ma hiérarchie et de certains de mes collègues. Je sais bien que ce n’est pas le cas partout, mais la société change. Certaines études indiquent que la présence de trans représente une opportunité pour les organisations. Ils auraient une vision moins genrée des rapports de travail.» Quant aux réactions de ses proches, elles sont pour l’instant positives dans l’ensemble: «Ma compagne — avec laquelle je vis depuis quinze ans — m’accompagne dans ce processus. Cela n’allait pas de soi au départ. Mais avec l’aide d’une psychologue, nous avons pris la décision de vivre cette aventure ensemble, sans savoir encore bien où elle nous mènera.» Quant à ses parents, ils sont heureux de voir qu’il va bien: «Ma mère dit qu’elle a retrouvé l’enfant que j’étais, avec de la joie de vivre».

Mais tout n’est pas rose: il y a les amis qui ne lui adressent plus la parole ou ceux à qui il n’a pas encore souhaité parler de son changement. «Parce que je me garde le droit de gérer cette transformation. Il s’agit de ma vie et j’ai fait le choix d’avancer. J’ai ressenti un côté masculin et féminin en moi depuis tout petit. J’ai choisi de me connecter à cela pour devenir qui je suis fondamentalement.» Et ce processus ne va pas sans occasionner des angoisses: «Est-ce que je me suis lancé dans une quête perdue d’avance? Comment peut-on vivre avec un corps entre deux genres? Cela me donne le vertige parfois.»
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Collaboration: Geneviève Ruiz

Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 10).

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