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La der de Derder

Le conseiller national vaudois est un maître dans l’art d’agacer, ce qui est souvent bon signe en politique. Sa charge contre les parlementaires alémaniques allergiques au français est pourtant un brin hors-sujet.

Sur son site personnel, il se dit passionné par trois choses: «L’innovation, le journalisme et la politique.» Reconnaissons que Fathi Derder est surtout connu pour les deux dernières.

Lausannois de naissance, algéro-valaisan d’origine, l’homme est souvent qualifié de «mal-aimé». Un manque de popularité qui se traduit dans les urnes: conseiller national sortant, il a été sèchement évincé lors des élections de 2015, avant d’être repêché par la grâce d’un vrai miracle. A savoir l’élection d’Olivier Français au Conseil des États qui libérait une place pour l’infamant vienne-ensuite, un rôle pas du tout fait pour l’orgueilleux Fathi — tel est-il du moins souvent perçu.

Doté c’est sûr d’un talent très au-dessus de la moyenne dans l’art d’agacer, y compris dans son propre camp. Agacer n’est pas une tare. En politique, c’est même rarement un mauvais signe. La capacité d’agacer peut être la preuve cinglante qu’au moins on existe. Que l’on représente quelque chose. Que l’on n’a peur de rien, et surtout pas du ridicule ni des plus puissants que soi. Qu’on ose afficher, montrer, crier s’il le faut, des opinions, même quand elles ne valent pas très cher. Qu’on ose s’attaquer à des courants et des pensées lourdement majoritaires.

Ce qui n’empêchera pas qu’on puisse trouver largement à côté de la plaque la dernière polémique allumée par le conseiller national vaudois dans sa chronique hebdomadaire que publie Le Temps. Certes dénoncer l’incurie des députés alémaniques envers la langue française, leur manque de savoir-vivre et de tolérance sur cette question, leur allergie même, a le mérite de renverser un cliché trop bien établi: que dans ce pays, sous la Coupole comme ailleurs, les francophones seraient les seuls ânes bâtés monolingues.

Mais ce que paraît oublier Fathi Derder, c’est que sur la question linguistique, les obligations ne sont peut-être pas tout à fait les mêmes suivant que l’on appartienne à un groupe très, très majoritaire ou à une petite frange minoritaire.

Faut-il rappeler que la Suisse est peuplée de 70% d’alémaniques, et que 20% de francophones, cela ne pèse tout de même pas très lourd. Pas au point en tout cas de pouvoir sommer les germanophones de jongler avec la langue de Voltaire. En ne parlant pas allemand ou en refusant de le parler sous différents, méprisants et trop connus prétextes, on se coupe des trois-quarts de la population. Les Alémaniques en ignorant le français font preuve forcément, mathématiquement, d’un ostracisme moindre.

Le soupçon qu’avec cette polémique Fathi Derder se met très largement le doigt dans l’œil est renforcé par la manière dont elle a été accueillie en Suisse alémanique. Le Tages Anzeiger par exemple a sollicité l’avis de ses lecteurs qui se montrent, à une forte majorité, favorable au diagnostique porté par le trublion romand sur les cuistres germanophones sévissant aux Chambres. Imagine-t-on un instant des lecteurs romands donner raison à une violente attaque de journalistes alémaniques qui accuseraient des élus francophones de cuistrerie?

Sans parler du fait que l’une des cibles de Derder est très mal choisie. Roger Köppel, le tout-puissant patron de la Weltwoche et conseiller national UDC, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est capable de répondre et de converser en français lorsque l’interlocuteur est francophone et il fait l’effort. Comme il répond aussi en français aux sollicitations des médias romands. Mieux, son éditorial hebdomadaire sur le site de la Weltwoche est toujours accompagné d’une traduction en français in extenso. On est plus proche là de la fine politesse que du mépris cuistre. L’équivalent d’ailleurs dans un journal romand semble tout à fait inimaginable.

Bien sûr, les mauvaises langues diront que si c’est pour lire de la propagande anti-européenne et des diatribes anti-migrants à journée faite, autant que cela reste en allemand.